La Grande-Bretagne et la France s'accusent mutuellement d'hypocrisie concernant les sanctions contre la Russie, une querelle révélatrice de divisions plus profondes entre les Européens sur l'ampleur de leur riposte après le crash de l'avion de Malaysia Airlines, selon des analystes.

L'«Entente cordiale» est entrée dans une phase peu cordiale cette semaine, lorsque la Grande-Bretagne a descendu en flammes le contrat de vente de deux  navires de guerre pour 1,2 milliard d'euros conclu par la France avec la Russie, tandis que Paris accusait Londres d'être le refuge des oligarques russes.

La querelle s'est amplifiée mercredi lorsqu'un rapport parlementaire a révélé que le Royaume-Uni avait donné son feu vert à de juteuses exportations d'armes vers la Russie, tout en critiquant ses partenaires européens parce qu'ils en faisaient autant.

Selon les experts la controverse franco-britannique va se calmer, mais ils soulignent qu'elle est symptomatique d'un malaise plus large au sein de l'Union européenne. Les 28 de l'UE insistent pour une répartition équitable du fardeau des sanctions contre Moscou.

«Nous assistons à des tensions au sein de l'UE à propos des sanctions, inévitables étant donné que chaque pays a une relation différente avec la Russie», a déclaré à l'AFP Sarah Lain, chercheuse au Royal United Services Institute de Londres.

«La France ne veut vraiment pas casser ce contrat», selon elle ajoutant que «cela porterait davantage préjudice aux intérêts français qu'à ceux de la Russie. Et puis le rapport parlementaire britannique a attiré l'attention sur le fait que la France n'était pas la seule en Europe à entretenir des relations en matière d'armements avec Moscou».

Malgré les pressions américaines en faveur d'un durcissement des positions à l'égard de Moscou après le crash de l'avion de Malaysia Airlines abattu au-dessus de l'est de l'Ukraine dans une zone contrôlée par les rebelles prorusses, les ministres européens des Affaires étrangères se sont contentés mardi de renforcer leurs sanctions et d'envisager un embargo sur les armes.

Mais le débat a dégénéré en prise de bec franco-britannique en raison des réticences de Paris à remettre en cause le contrat de vente de deux Mistral à la Russie. Selon le président François Hollande le premier navire serait livré comme prévu en octobre mais la livraison du second dépendrait de l'«attitude de la Russie».

Pour le Premier ministre britannique David Cameron, en revanche il serait «impensable» dans son pays «d'exécuter une commande exceptionnelle comme celle des Français». Il a aussi critiqué les ventes d'armes des Allemands et des Italiens à Moscou.

«Chers amis britanniques»

Les propos de David Cameron ont été mal accueillis à Paris.

Jean-Christophe Cambadélis, dirigeant du Parti socialiste au pouvoir a estimé que la livraison des Mistral était un «faux débat mené par des faux-culs» (hypocrites).

Le chef de la diplomatie Laurent Fabius a, de son côté, ironisé en remerciant les Britanniques qui ont été «extrêmement aimables en disant: jamais nous n'aurions fait cela». «Je leur ai dit aussi: +chers amis britanniques, parlons aussi de la finance. J'ai cru comprendre qu'il y avait pas mal d'oligarques russes à Londres+».

Mais Londres a aussi prêté le flanc aux accusations d'hypocrisie : selon un rapport parlementaire, 251 licences d'exportation vers la Russie sont toujours en vigueur et prévoient la vente de produits sous contrôle pour un montant d'au moins 132 millions de livres (167 millions d'euros).

Selon les analystes, la querelle franco-britannique ne devrait pas faire dérailler le renforcement de la coopération notamment dans la défense.

En 2010, Londres et Paris, à court d'argent, ont signé une «Entente frugale» - allusion à l'Entente cordiale de 1904 mettant fin à des siècles de conflits - pour coopérer sur des contrats de défense.

Le nouveau chef de la diplomatie britannique Philip Hammond a longtemps «soutenu fortement la coopération franco-britannique» en dépit de son euroscepticisme affirmé, au nom duquel il dénie à l'UE tout rôle dans la défense de la Grande-Bretagne, a déclaré à l'AFP  Charles Grant, directeur du Centre for European Reform.

M. Hammond a adopté une attitude plus souple que son Premier ministre, soulignant que les sanctions s'appliqueraient «aux futurs contrats d'armement» et ne toucheraient pas de ce fait les Mistral.