Berlin et Paris ont invité mercredi le président ukrainien à faire preuve de «retenue» au plan militaire, alors que les forces de Kiev ne sont plus qu'à quelques dizaines de kilomètres de la place forte rebelle de Donetsk.

Lors d'un entretien téléphonique d'environ quarante minutes, le président français et la chancelière allemande ont relevé l'intention exprimée par M. Petro Porochenko «de faire preuve de la retenue nécessaire au plan militaire, afin d'épargner les populations civiles», selon un communiqué de l'Élysée.

Les forces de Kiev ont repris ces derniers jours plusieurs villes de l'est du pays occupées par les séparatistes prorusses, en particulier le bastion de Slaviansk. Les autorités ukrainiennes ont répété avoir donné des ordres stricts d'épargner les civils, mais selon des témoignages recueillis sur place, certains tirs ont bien touché des quartiers résidentiels à Lougansk.

Mme Merkel et M. Hollande ont également «marqué l'importance d'aboutir rapidement à une solution politique fondée sur l'établissement d'un cessez-le-feu bilatéral, la mise au point d'un mécanisme de surveillance de la frontière avec l'OSCE et la libération de tous les otages».

Ce passage apparaît apporter à la fois une concession à l'Ukraine, car il ne mentionne plus de «cessez-le-feu sans condition» qu'elle refuse, et une suggestion que Kiev aura du mal à accepter, à savoir un «mécanisme de surveillance de la frontière avec l'OSCE» plutôt que le retour au contrôle de la frontière par les Ukrainiens.

Les deux dirigeants doivent avoir dans les prochains jours un «contact» avec le président russe Vladimir Poutine, à qui ils doivent demander de «faire pression» sur les séparatistes pour les amener à négocier.

Dans un communiqué sur cet entretien, la présidence ukrainienne a souligné que «les interlocuteurs ont constaté l'absence de progrès de la part de la Russie dans la mise en oeuvre des accords conclus auparavant». Par ailleurs, Kiev s'est déclaré prêt à discuter d'une nouvelle réunion du groupe de contact, tout en estimant que «l'autre partie» ne manifeste pas de bonne volonté à cet égard.

Sur le terrain, Lougansk était comme déserte mercredi, avec très peu de circulation. On entendait régulièrement des tirs d'artillerie, notamment en provenance du nord. La municipalité annonçait trois tués et cinq blessés au cours des dernières 24 heures.

Dans le quartier de Kamenibrodsky, dans les faubourgs nord de la ville, un point ce contrôle séparatiste, au lieu-dit «Métaliste», a été déserté. Evgueni, 54 ans, sa femme Olga 48 ans, et leur fil Oleg, 8 ans, rentrent chez eux. «Ils nous bombardent avec des avions, des canons», peste Olga. «Comment peut-on dire que nous sommes des terroristes? Tout ce que nous voulons c'est une fédération, mais ici il y a une extermination en cours, tout ça parce qu'on veut parler russe», poursuit-elle.

Dans le quartier «Oktyabrsky», dans l'ouest de la ville, quatre obus de mortier sont tombés mardi vers 14 heures au milieu des immeubles de huit étages. Par chance, il n'y a eu que deux blessés légers.

À 20 km de Donetsk

La situation était plus calme mercredi matin à Donetsk, où les transports en commun et les commerces fonctionnaient normalement, alors qu'aucun grand mouvement de troupes de Kiev en direction des positions rebelles n'était signalé.

«Nous sommes déjà à 20 km de Donetsk», a cependant affirmé mercredi à Slaviansk le ministre de l'Intérieur ukrainien Arsen Avakov. «Nous allons les chasser [les rebelles] jusqu'à ce qu'ils se retrouvent dans l'autre Donetsk» (une petite ville russe du même nom proche de la frontière), a-t-il ajouté lors d'une rencontre avec les habitants.

À Donetsk, le «ministre de la Défense» des insurgés Igor Strelkov a donné une interview à la télévision des séparatistes, estimant que la ville n'était pas bien préparée pour se défendre contre une éventuelle attaque de chars de Kiev, selon les sites web locaux qui citent ses propos.

Il a estimé qu'il faudrait mobiliser entre 8000 et 10 000 hommes pour pouvoir arrêter l'avance des forces de Kiev, sans chiffrer les effectifs actuels des troupes séparatistes, estimés généralement à quelques milliers d'hommes.

Entre-temps, la tension entre Kiev et Moscou s'est enrichie d'un épisode spectaculaire autant que confus : la Russie a annoncé avoir arrêté une pilote ukrainienne, qu'elle accuse d'être responsable de la mort de deux journalistes russes tués en juin dans l'est de l'Ukraine, pour avoir signalé l'endroit où ils se trouvaient aux forces ukrainiennes. Selon les enquêteurs russes, Nadia Savtchenko serait entrée en Russie en se faisant passer pour une réfugiée fuyant les combats.

Pour Kiev, cette thèse ne correspond pas à la vérité : la jeune femme aurait été capturée par les séparatistes dans la région de Lougansk et s'est retrouvée dans une prison de la ville russe de Voronej. Évoquant cette affaire avec Mme Merkel et M. Hollande, M. Porochenko a jugé «inacceptable» un tel «transfert d'otages pris par les terroristes vers le territoire russe», selon le communiqué de la présidence.