Les dirigeants européens, réunis jeudi et vendredi, vont chercher à s'entendre sur une riposte crédible après le rattachement de la Crimée à la Russie, mais sans aller jusqu'à des sanctions économiques qui porteraient aussi atteinte à leurs intérêts.

«Rester unis» est la priorité affichée des 28 avant cette seconde réunion au sommet consacrée à la crise ukrainienne en deux semaines.

À Bruxelles, Angela Merkel, François Hollande, David Cameron et les 25 autres chefs d'État et de gouvernement devraient annoncer des mesures faisant consensus, comme l'annulation du sommet Russie-UE prévu en juin à Sotchi, selon des sources diplomatiques.

L'UE envisage également d'élargir la liste de personnalités russes et ukrainiennes pro-russes frappées d'interdiction de visa et de gels des avoirs. Ces sanctions ciblées décidées lundi ont jusqu'à présent laissé de marbre Moscou, car elles visent huit responsables de Crimée et 13 militaires et parlementaires russes considérés comme des seconds couteaux.

«Aucune décision politique» n'avait été prise jeudi sur l'ajout de nouveaux noms à cette liste, a indiqué un diplomate. Les discussions portent notamment sur le bien-fondé de «viser directement l'entourage proche de Vladimir Poutine» et «des oligarques», les hommes d'affaires qui contrôlent des pans entiers de l'économie russe.

Mais les Européens se veulent prudents, car «il est nécessaire de laisser ouverts les canaux de dialogue» avec le Kremlin, a souligné un autre diplomate. «Notre priorité est, plus que jamais, de faire baisser la tension» autour de l'Ukraine, selon lui.

Punir les oligarques reviendrait par ailleurs à s'engager sur la voie des sanctions économiques, un sujet très sensible au sein de l'UE.

D'importantes divergences existent entre les pays qui les réclament, ceux qui y sont hostiles parce qu'ils en seraient les premières victimes, et les autres qui y consentent à condition qu'elles ne les affectent pas trop.

Sanctions économiques, un casse-tête

«Dans le court terme, le plus efficace serait un mélange de sanctions ciblées visant des individus ou des sociétés, et des restrictions d'exportation de produits dont la Russie est très dépendante, comme les machines-outils ou des produits chimiques et médicaux», indique le centre de réflexion Open Europe, basé à Londres.

Mais l'évocation de telles mesures préoccupe fortement les industriels en Allemagne, de loin le premier partenaire commercial de la Russie où 6000 entreprises allemandes sont implantées.

D'autres pays, comme la Grèce, la Finlande et la Bulgarie, s'inquiètent des représailles que pourrait prendre Moscou, notamment dans les livraisons de gaz.

À titre individuel, la France cherche à préserver la vente de deux navires militaires Mistral à la Russie, et le Royaume-Uni l'engouement des sociétés russes pour la City de Londres.

Le défi à relever par les 28 est de définir les sanctions ayant «l'impact le plus important sur l'économie russe, mais le moins important sur les Européens», ce qui n'est «pas aisé», précise une source française.

Au-delà, la crise ukrainienne oblige l'UE à «réexaminer en profondeur» sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, essentiellement du géant Gazprom, indique un diplomate britannique. Brandir la menace d'une plus grande diversification des sources d'approvisionnement serait susceptible de faire réfléchir Moscou, selon lui.

À Bruxelles, l'autre priorité des 28 sera d'affirmer leur soutien au nouveau régime ukrainien. Ils signeront vendredi matin avec le premier ministre Arseni Iatseniouk le volet politique de l'accord d'association UE-Ukraine.

Cette signature «confirmera la décision libre et souveraine de l'Ukraine de poursuivre une intégration politique et économique avec l'Union européenne», selon le Conseil européen.

Cette étape représentera une revanche pour l'UE, près de quatre mois après son rejet soudain par l'ex-président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch, qui avait déclenché la crise. Mais elle sera sans aucun doute considérée comme une provocation par Moscou.

La Moldavie presse l'UE d'accélérer le pas

Le président moldave Nicolae Timofti, qui craint une répétition du scénario ukrainien en Moldavie, a pressé mercredi l'Union européenne d'accélérer la signature d'un accord d'association et d'offrir des perspectives claires d'adhésion à son pays.

«J'espère que nous aurons le soutien de l'Union européenne pour signer le plus rapidement possible l'accord d'association. C'est important dans le contexte actuel dans la région», a déclaré M. Timofti après une rencontre avec son homologue roumain Traian Basescu à Iasi, dans le nord de la Roumanie et à la veille d'un sommet européen.

«Mon pays a demandé à l'Union de lui offrir une perspective claire d'adhésion», a-t-il ajouté.

La Moldavie est l'un des deux pays de l'ex-bloc soviétique, avec la Géorgie, à avoir paraphé un accord d'association lors du sommet du Partenariat oriental de l'UE à Vilnius en novembre, après le retrait soudain de l'Ukraine. Cet accord doit être encore finalisé juridiquement avant d'être formellement signé.

Depuis le pays craint des pressions de la Russie et une répétition de ce qui s'est passé en Crimée dans la région séparatiste pro-russe de Transnistrie.

Cette région avait fait sécession, avec le soutien de Moscou, à l'issue d'une guerre en 1992, un an après la chute de l'URSS, mais son indépendance n'a été reconnue par aucun pays.

La Russie y maintient depuis des soldats, contre la volonté du gouvernement moldave, et malgré l'engagement pris en 1999 de les retirer.

Le président moldave avait indiqué mardi que le porte-parole du Parlement de Transnistrie s'était adressé à Moscou pour demander, à l'instar de la Crimée, un rattachement à la Russie.

Évoquant une réunion prévue à Moscou jeudi sur la Transnistrie, le chef de l'État a espéré que les décisions ne seront «pas pires que les actions entreprises par la Russie en Crimée».

«Mais j'ai espoir que Moscou tiendra compte des critiques de l'UE et de la position de la Roumanie et de la Moldavie», a-t-il ajouté.

De son côté, le président roumain Traian Basescu a «tiré un signal d'alarme concernant la sécurité de la République de Moldavie», en faisant notamment référence à la situation en Transnistrie.

«La seule solution est d'accélérer le processus d'intégration européenne de la Moldavie» et de lui donner des garanties, a-t-il ajouté en reprochant à l'Europe d'avoir été «trop hésitante» jusqu'ici.

«Bien sûr, l'idée n'est pas de dire qu'on doit accepter des États non préparés dans l'UE, mais nous devons fournir davantage de soutien financier et technique à la Moldavie pour qu'elle parcoure plus vite le chemin vers l'UE», a estimé M. Basescu.

«La Russie ne s'arrêtera pas là (...) la Crimée est juste un épisode après l'épisode de la Géorgie», a-t-il mis en garde.