La brouille spectaculaire entre la Turquie et Israël à la suite de la conclusion sanglante l'année dernière de l'équipée de la flottille partie soutenir les Palestiniens pourrait envenimer les relations d'un membre clé de l'Alliance atlantique avec les États-Unis et accentuer l'isolement de l'État hébreu, estiment les analystes.

Depuis la création d'Israël il y a quelque soixante ans, la Turquie a été considérée comme l'ami le plus sûr de l'État hébreu dans le monde musulman.

La Turquie a été le premier pays à population majoritairement musulmane à reconnaître Israël en 1949 et les deux pays n'ont pas seulement noué des liens étroits sur les plans diplomatique et commercial, mais également sur le plan militaire.

Aujourd'hui, les relations entre les deux pays n'ont jamais été aussi tendues. Vendredi, Ankara ne s'est pas contenté d'annoncer l'expulsion de l'ambassadeur israélien, mais a également décidé de réduire ses liens militaires avec Israël.

Alors que le durcissement du premier ministre Reccep Tayep Erdogan à l'égard d'Israël depuis la mort de neuf Turcs lors du raid contre la flottille qui devait rejoindre Gaza en mai 2010, recueille l'approbation des électeurs turcs, certains observateurs estiment que l'attitude de la Turquie pourrait lui coûter cher en contrariant son puissant allié américain.

«Les gens considèrent que les relations turco-israéliennes sont des relations bilatérales alors qu'en réalité ce sont des relations trilatérales. Nous connaissons l'influence exercée par les Israéliens sur la politique américaine», affirme Sabri Sayari de l'Université privée Sabanci d'Istanbul.

«Si les choses suivent cette pente, les relations turco-américaines seront affectées», poursuit-il.

M. Sayari prédit notamment que la Turquie pourrait être prise à partie par le Congrès avec un projet de loi considérant que les massacres d'Arméniens pendant la Première Guerre mondiale constituaient un génocide.

«Il y a un lobby pro-israélien très puissant au Congrès. La Maison-Blanche fait de son mieux (pour empêcher ce type de vote), mais la décision finale reviendra au Sénat», souligne-t-il.

M. Erdogan s'est déjà insurgé contre la politique israélienne par le passé. On se souvient de la manière spectaculaire avec laquelle il a quitté en 2009 le Forum de Davos à la suite d'un échange acrimonieux avec Shimon Peres au cours duquel il avait accusé les Israéliens d'être passés maîtres dans l'art de tuer les gens.

Mais jusqu'ici les prises de position du premier ministre avaient peu d'impact sur la puissante institution militaire dont les relations avec le gouvernement issu de la mouvance islamiste sont tendues.

Or, l'annonce de vendredi semble avoir changé la donne.

«La politique du gouvernement vis-à-vis d'Israël est devenue la politique de l'État turc vis-à-vis de ce pays», souligne Huseyin Bagci de l'Université technique du Moyen-Orient d'Ankara, qui considère qu'il y a là un danger.

Pour d'autres analystes, c'est Israël qui sera le véritable perdant de cette confrontation, car il ne peut pas s'offrir le luxe de perdre l'un de ses rares amis dans le monde musulman alors que l'effervescence a gagné le monde arabe.

L'ancien dirigeant égyptien Hosni Moubarak, considéré comme le plus pro-israélien de tous les dirigeants arabes, a été renversé en février dernier et passe actuellement en jugement.

La Jordanie, seul autre pays voisin à avoir des relations diplomatiques avec Israël est secouée par des manifestations.

«La Turquie a donné beaucoup de chances à Israël, mais Israël a abusé de la bonne foi de la Turquie», estime Osman Bahadir Dincer de l'Organisation internationale de recherche stratégique qui a son siège à Ankara.

En plus du gel des relations diplomatiques et militaires, le président Abdullah Gul a annoncé vendredi que la Turquie pourrait envisager d'autres mesures à l'avenir, sans plus de détails.