Après 10 ans de relations à couteaux tirés, tout indique qu'une entente entre l'Iran, les États-Unis et les autres grandes puissances pourrait être conclue dans le dossier du nucléaire iranien. Bonne nouvelle? Pas pour tous. Le tour des enjeux en cinq questions et réponses.

Q: Que sait-on sur l'entente qui est en train d'être négociée à Genève entre l'Iran et les six grandes puissances (les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne)?

R: Les négociations se déroulent à huis clos, mais au début de la semaine, des détails de l'entente ont été obtenus par certains médias. Selon les détails connus, en échange d'une levée des sanctions qui pèsent sur le régime islamiste, l'Iran accepterait de limiter sa production de combustible nucléaire pendant dix ans. Après cette période, l'Iran regagnerait graduellement sa pleine capacité à enrichir de l'uranium sur une période de cinq ans.

Q: Pourquoi y a-t-il un tel changement de ton entre l'Iran et l'Occident après des années de méfiance et d'hostilités?

R: Expert de la politique étrangère iranienne, Pierre Pahlavi, du Collège des forces canadiennes de Toronto, croit que deux facteurs pèsent lourd dans la balance. D'un côté, les Européens ont envie d'une entente qui leur permettrait de rétablir les liens commerciaux avec l'Iran, rompus par les sanctions. «Les industriels français et allemands piaffent d'impatience», note-t-il. En Iran, un groupe de politiciens modérés, qui viennent tout juste de mettre sur pied un nouveau parti politique, proche des idées de l'ancien président réformiste Mohammed Khatami, «sont engagés dans une logique de rapprochement». M. Pahlavi ajoute que la bataille contre le groupe État islamique, qui mobilise autant le régime iranien que l'Occident, joue aussi en faveur d'un rapprochement.

Q: Pourquoi l'Iran accepterait-il une telle entente après des années à tenir tête aux Occidentaux?

R: Pierre Pahlavi estime que le véritable enjeu de la négociation n'est pas l'énergie nucléaire, mais bien le rôle de l'Iran dans le monde. «Le régime islamiste a besoin du nucléaire comme d'une arme de dissuasion. Ce qui lui importe, c'est la survie du régime et le prestige régional qui va avec», note l'expert, qui dirige aussi le Centre des études sur la sécurité nationale. Selon lui, si les grandes puissances offrent à l'Iran des garanties répondant à ces préoccupations, le régime des ayatollahs serait prêt à laisser de côté son programme nucléaire. Mais une telle entente ne passera pas comme lettre à la poste. Les pétromonarchies, alliées de Washington, ne voient pas d'un très bon oeil la réintégration de l'Iran dans la communauté internationale. M. Pahlavi note qu'il est révélateur de voir que John Kerry, secrétaire d'État des États-Unis, doit rencontrer dans les prochains jours les Iraniens, les Russes et les Saoudiens.



Q: Que dit Israël de tout ça?

R: L'actuel premier ministre de l'État hébreu, Benyamin Nétanyahou, s'oppose avec véhémence à l'accord avec les Iraniens. Il affirme que le président américain, Barack Obama, a accepté le fait que l'Iran aura une arme nucléaire dans quelques années. «C'est une mauvaise entente, dangereuse pour l'État d'Israël», dit le premier ministre. Il promet de s'y opposer par tous les moyens. Le 3 mars, à l'invitation des républicains, il prononcera un discours sur la question devant le Congrès américain. Cette visite, organisée à l'insu de la Maison-Blanche, a soulevé la colère de Barack Obama et des démocrates. Notant que Nétanyahou est actuellement en campagne pour être réélu (les élections israéliennes auront lieu le 17 mars), Obama refuse de le rencontrer au cours de sa visite à Washington. Les relations américano-israéliennes ont rarement été aussi tendues.

Q: Est-ce que le point de vue du premier ministre fait l'unanimité en Israël?

R: Pas vraiment. Tous ne partagent pas l'inquiétude de Benyamin Nétanyahou, qui croit que l'Iran représente une menace existentielle pour Israël. Des documents de la police secrète israélienne, obtenus par Al-Jazeera et The Guardian, démontrent que, contrairement à ce que le premier ministre israélien avait affirmé devant les Nations unies en 2012, le Mossad ne croyait pas à l'époque que l'Iran était à un an de l'obtention d'une arme nucléaire. L'agence de renseignements concluait plutôt que l'Iran n'«entreprenait pas les activités nécessaires à l'obtention d'une bombe». Des experts croient que ces documents ont été donnés aux médias pour miner la crédibilité de Nétanyahou à l'occasion de sa visite américaine, mais aussi pendant la campagne électorale qui l'oppose au Parti travailliste de Yitzhak Herzog.

-Avec le New York TimesHaaretz, Al-Jazeera et The Guardian

PHOTO CAROLYN KASTER, ARCHIVES AP

Le secrétaire d'État américain John Kerry doit rencontrer prochainement les Iraniens, les Russes et les Saoudiens.