Sur la photo qu'elle montre avec fierté sur son téléphone portable, Shohreh Pirani, son mari Darioush Rezaei-Nejad et leur petite fille, Armita, ont l'air de filer le parfait bonheur. Portant un léger foulard rose sur ses cheveux, Mme Pirani sourit de toutes ses dents.

À peine un an plus tard, la «photo» a complètement changé. Portant un voile noir, un habit sévère et un grand tchador tout aussi noir par-dessus le tout, Mme Pirani, à peine âgée de 32 ans, semble en avoir 20 de plus. «J'ai tout perdu le jour où ils ont assassiné mon mari sous mes yeux», dit-elle.

«Ils», ce sont ceux qui, depuis 2010, ont assassiné quatre scientifiques liés au programme nucléaire iranien et tenté d'en tuer un autre.

Autopsie d'une guerre secrète

Le régime en place à Téhéran est convaincu que ces assassinats ciblés sont l'oeuvre des États-Unis et d'Israël qui veulent à tout prix freiner le développement du programme nucléaire iranien, de peur qu'il n'accouche éventuellement d'une bombe.

Téhéran croit que les deux pays ont commandé les assassinats ciblés aux moudjahiddin du peuple (MKO), un mouvement d'opposition armé d'origine iranienne qui tient tête au régime islamique depuis plus de 30 ans.

Les États-Unis comme Israël nient officiellement toute implication dans ces affaires, et ce, même si certaines sources au sein de leurs appareils de sécurité ont accordé des entrevues à des grands médias, dont Der Spiegel, confirmant un lien avec les assassinats. Le mois dernier, le président américain Barack Obama a aussi affirmé que son pays avait participé à une cyberattaque contre l'Iran grâce au virus informatique Stuxnet.

Au cours des deux dernières années, plusieurs attentats manqués ont aussi été attribués à l'Iran. Dans plusieurs rapports médiatiques, les Gardiens de la révolution, puissante brigade armée du régime, ont promis de sévir «bien au-delà des frontières de l'Iran» pour venger ses scientifiques.

Victime innocente

Pour Shohreh Pirani, son mari - ingénieur électrique de 35 ans - est la victime innocente de terroristes sans aucun scrupule. «Sur les quatre scientifiques qui ont été tués, trois étaient en présence de leur famille, dit-elle pour illustrer son argument. Pourquoi n'entendons-nous aucune condamnation de ce terrorisme sur la scène internationale?»

Elle a été elle-même blessée lorsque le tireur a ouvert le feu. C'est un voisin de 18 ans qui est venu secourir la petite Armita, 4 ans, qui hurlait de peur à l'arrière de la voiture.

Shohreh Pirani n'a absolument rien oublié de cette journée d'épouvante qu'elle raconte dans ses moindres détails. Le physique iranien du tueur, ses lunettes fumées, la chemise sortie de son pantalon et la motocyclette sur laquelle il a pris la fuite.

Quand Mme Pirani raconte le «jour qui a détruit [sa] vie», sa fille Armita se blottit contre elle et tente du bout du doigt d'assécher ses larmes. «Armita parle tous les jours de l'assassinat et elle le dessine aussi», raconte la jeune mère.

Même si elle se dit fière d'être la «veuve d'un martyr», Shohreh Pirani espère qu'un jour, justice sera rendue. Pour son mari, sa fille et elle, mais aussi pour toute la communauté scientifique iranienne qui a été ébranlée au plus haut point par les attentats. «Mon mari vivait dans la peur bien avant l'assassinat. Il avait reçu des appels de menaces, des courriels. On l'encourageait à changer de travail ou à partir de l'Iran», se souvient-elle.

Encore aujourd'hui, Mme Pirani et sa fille font l'objet d'une surveillance accrue. Et de l'appui du régime. Tous les mois, la veuve et sa fillette sont reçues en privé par le leader suprême de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei.

En mai, un jeune homme de 24 ans, Jamal Fashi, a été exécuté pour le meurtre, en janvier 2010, de Massoud Ali-Mohammed. La semaine dernière, les autorités ont annoncé l'arrestation d'une vingtaine de personnes en lien avec les assassinats de scientifiques, mais aucun des suspects n'aurait été impliqué dans la mort de Darioush Rezaei-Nejad. «Un jour, les coupables seront attrapés, croit néanmoins Mme Pirani. Ils seront exécutés, mais je n'irai pas voir ça. Je ne cherche pas la vengeance.»