Les doutes entretenus par les sceptiques n'y changeront rien: Barack Obama a opposé hier son veto à la publication de photographies de la dépouille d'Oussama ben Laden, pour des raisons de sécurité et de décence.

Le président américain a fait part de sa décision lors d'une entrevue accordée à l'émission 60 Minutes de CBS, dont un extrait a été diffusé hier soir sur la même chaîne.

«Avez-vous vu les photos? a demandé le journaliste Steve Kroft au chef de la Maison-Blanche

- Oui.

- Quelle a été votre réaction en les voyant?

- C'était lui.

- Pourquoi ne les avez-vous pas diffusées?»

Après avoir évoqué sa crainte de voir les photos devenir un «outil d'incitation à la violence ou de propagande», Barack Obama a ajouté que leur publication aurait été contraire au caractère américain.

«Ce n'est pas notre genre, a-t-il dit. Nous ne brandissons pas ce genre de chose comme un trophée.»

Le président a également affirmé qu'aucune photo ne parviendrait à convaincre certains incrédules de la réalité de la mort du chef d'Al-Qaïda.

«Il n'y a aucun doute sur le fait que ben Laden est mort, a-t-il dit. Il y a certainement des doutes parmi les membres d'Al-Qaïda, et nous ne pensons pas qu'une photo en soi fasse une quelconque différence. Il y aura toujours des gens qui auront des doutes. Le fait est que vous ne verrez plus ben Laden fouler de nouveau le sol de cette planète.»

Washington partagé

La publication de photos de la dépouille de ben Laden faisait l'objet d'un débat dans l'administration Obama depuis le début de la semaine. Le président a fini par se ranger à l'avis de la secrétaire d'État, Hillary Clinton, et du secrétaire à la Défense, Robert Gates.

Le directeur de la CIA, Leon Panetta, était pour la publication des photos.

La décision du président n'a pas fait l'unanimité. Le sénateur républicain de Caroline-du-Sud Lindsey Graham s'est retrouvé parmi les élus de Washington qui l'ont critiquée. «La raison d'envoyer nos soldats dans ce complexe était d'obtenir la preuve irréfutable de la mort de ben Laden. Je sais que ben Laden est mort, mais la meilleure façon de protéger et défendre nos intérêts internationaux est de prouver ce fait au reste du monde», a-t-il déclaré.

Des républicains ont cependant exprimé leur appui à Barack Obama. Mike Rogers, président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants, a notamment fait sienne la crainte du président de voir les photos de la dépouille de ben Laden enflammer l'opinion arabe.

«Oussama ben Laden n'est pas un trophée - il est mort, et il importe maintenant de se concentrer sur la poursuite de la lutte contre Al-Qaïda, jusqu'à son élimination», a-t-il déclaré.

Témoignage d'une fille de ben Laden

Le porte-parole de la Maison-Blanche, Jay Carney, avait qualifié mardi de «macabres» les photos du cadavre d'Oussama ben Laden. Ce terme s'applique certainement aux images diffusées hier par l'agence de presse Reuters, qui montrent trois cadavres ensanglantés dans la résidence du chef d'Al-Qaïda après l'opération du commando américain.

Reuters a précisé que ces photos avaient été prises par un responsable des services de sécurité pakistanais.

Un responsable de l'ISI, le renseignement pakistanais, a par ailleurs partagé avec des journalistes le témoignage d'une fille d'Oussama ben Laden, présente lors de l'assaut du commando américain. Elle aurait confirmé que son père avait été tué par balle et son corps emporté par les Navy SEALs.

La fille de 12 ans est détenue par les services de sécurité pakistanais avec trois femmes et huit autres enfants qui se trouvaient dans la résidence où se cachait ben Laden.

Le débat autour des photographies du cadavre de ben Laden n'a pas été le seul à agiter Washington hier. Le ministre de la Justice, Eric Holder, a notamment tenté de désamorcer la controverse suscitée par les circonstances entourant la mort du chef d'Al-Qaïda, dont on a appris mardi qu'il n'était pas armé au moment où il a été abattu.

Son élimination était «complètement légale et cohérente avec nos lois, nos valeurs», a déclaré le ministre Holder lors d'une comparution devant le Sénat. «Il était le chef d'Al-Qaïda, une organisation qui a mené les attentats du 11 septembre, il a admis son implication. Et il avait dit qu'il ne se laisserait pas prendre vivant.»