Pas le temps de souffler... Sitôt réélu, Barack Obama doit penser à son second mandat. À quoi ressemblera-t-il? Le président, qui compte laisser sa marque, a plusieurs objectifs à atteindre. Nicolas Bérubé se penche aujourd'hui sur six des principaux enjeux politiques auxquels Obama aura à faire face durant les quatre prochaines années. Son collègue Vincent Brousseau-Pouliot examine pour sa part, six «travaux» majeurs en matière d'économie. Avec les crises imprévues qui s'ajouteront à cette liste au fil des mois, pas de doute, le président ne chômera pas.

Les six défis politiques d'Obama

1) Remaniement de son cabinet

À peine réélu, le président Obama travaillerait déjà au remaniement de son cabinet. Plusieurs membres de son équipe ont signalé qu'ils céderaient leur poste au début du deuxième mandat d'Obama. C'est le cas d'Hillary Clinton, secrétaire d'État des États-Unis depuis quatre ans, qui a annoncé il y a plusieurs mois qu'elle comptait se retirer.

Cette semaine, l'entourage de Mme Clinton a dit qu'elle quitterait ses fonctions après l'investiture d'Obama, qui aura lieu le 21 janvier 2013. Qui pourrait la remplacer? Le sénateur et ex-candidat démocrate à la présidence John Kerry ainsi que l'actuelle ambassadrice des États-Unis à l'ONU, Susan Rice, seraient dans la course.

Secrétaire du Trésor, Timothy Geithner doit lui aussi quitter ses fonctions après quatre années difficiles à ce poste stratégique. Selon Bloomberg News, Geithner pourrait être remplacé par l'actuel chef de cabinet de la Maison-Blanche, Jack Lew.

Ancien directeur du Bureau de la gestion et du budget, Lew est un poids lourd de la gestion fiscale et des impôts, un dossier qui promet d'être au coeur des préoccupations de la nouvelle administration Obama.

Le secrétaire à la Défense, Leon Panetta, devra également être remplacé. Parmi les candidats se trouve Michèle Flournoy, qui était devenue, en 2009, la première femme à occuper le poste de sous-secrétaire à la Défense, troisième poste en importance au Pentagone.

2) Réforme de l'immigration

Barack Obama a reçu 69 % du vote des électeurs latino-américains, qui ont voté comme jamais cette année et donné aux démocrates une avance salutaire dans plusieurs États stratégiques.

«On demandera beaucoup à celui qui a beaucoup reçu», dit l'Évangile. Et les Latinos veulent une chose: la réforme des lois sur l'immigration.

«Le géant latino qui dormait s'est réveillé, et il est d'humeur maussade, a annoncé cette semaine Eliseo Medina, directeur du syndicat Service Employees International, qui s'est battu pour faire voter les Latinos-Américains en grand nombre. Nous nous attendons à de l'action et à du leadership sur la question de la réforme de l'immigration. Fini les excuses. Fini l'obstruction ou la paralysie.»

Durant la campagne, le président a dit que la réforme de l'immigration était prioritaire. «Je peux promettre que je vais essayer de le faire dans la première année de mon deuxième mandat. Je veux essayer cette année», avait dit le président en entrevue au réseau hispanophone Univision, en septembre.

La réforme proposée par Obama comprendrait un «chemin vers la citoyenneté» pour les quelque 12 millions de clandestins qui vivent aux États-Unis et la mise en place du Dream Act, qui permettrait aux jeunes adultes arrivés aux États-Unis clandestinement d'y travailler légalement.

Jusqu'ici, les républicains au Congrès ont refusé de collaborer à la réforme. Or, après une défaite retentissante cette semaine, les républicains ont désormais intérêt à tendre la main aux Latinos, groupe dont le poids démographique continuera de croire dans les décennies à venir.

3) L'Iran et l'arme nucléaire

La question de l'Iran et de l'arme nucléaire été soulevée durant la campagne électorale. Elle fera à coup sûr partie des principales préoccupations du deuxième mandat d'Obama. L'élection américaine ont déjà eu un effet dans la région: Israël épouse désormais la position des États-Unis sur la question du programme nucléaire iranien.

Israël a taxé les États-Unis d'immobilisme au cours des derniers mois, mais cela semble révolu.

En entrevue à CNN, jeudi, le vice-ministre des Affaires étrangères d'Israël, Danny Ayalon, a dit que son pays «n'a pas de plus grand allié» que le président Obama.

«Je crois aujourd'hui que nous pouvons dire que nous sommes d'accord et que nous allons continuer à suivre le rôle de leader des États-Unis» sur l'Iran, a-t-il dit.

L'administration Obama compte poursuivre le programme de sanctions économiques contre l'Iran et continuer à observer l'évolution du programme d'enrichissement de l'uranium.

Le président s'est aussi dit prêt à tenir des pourparlers avec l'Iran au sujet de l'arme atomique.

Durant la campagne, Obama a dit: «Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser l'Iran acquérir l'arme atomique, et nous allons prendre les moyens pour que ça n'arrive pas.»

Les sanctions imposées à Téhéran auraient déjà produit des effets dévastateurs sur la santé économique du pays, et le régime serait prêt à négocier, a affirmé cette semaine Dennis Ross, ancien responsable de la politique vis-à-vis du Proche-Orient dans le cabinet Obama.

Jeudi, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a dit qu'il voulait discuter de la question avec l'administration Obama. «La question du nucléaire doit être réglée dans le cadre des relations entre l'Iran et les États-Unis», a-t-il dit.

4) Lutter contre l'obstruction au Congrès américain

Depuis l'arrivée au pouvoir d'Obama, en 2009, les républicains au Congrès ont choisi la ligne dure et refusé de mettre à l'étude des centaines de projets de loi, même ceux qui sont près de leurs positions idéologiques ou des intérêts de leurs électeurs.

Pour ce faire, ils utilisent la règle de l'obstruction parlementaire (filibuster en anglais), qui permet au parti minoritaire d'exiger qu'une supermajorité de 60 votes soit atteinte au Sénat pour faire adopter une loi, au lieu d'une majorité simple. Or, les démocrates ne disposent pas de 60 sièges au Sénat, donc ils ont les mains liées.

Les statistiques le prouvent: selon un calcul de Bloomberg News, l'obstruction parlementaire a été utilisée davantage en 2009 et 2010 que durant les années 50, 60 et 70 réunies.

De son perchoir à la Maison-Blanche, le président Obama ne peut bien sûr pas changer les règles du Congrès. Mais son administration peut travailler avec le leader de la majorité démocrate au Sénat, Harry Reid, pour trouver une façon de modifier le système.

Cette semaine, Reid a semblé ouvert à l'idée. «Nous ne pouvons plus continuer comme ça, a-t-il dit. Je ne veux pas me débarrasser de la règle sur l'obstruction parlementaire, je veux la changer pour lui donner du sens.»

Les républicains ont jusqu'ici été peu disposés à changer la règle. Or, ils réaliseront peut-être que l'obstruction parlementaire qu'ils utilisent abondamment peut se retourner contre eux s'ils reprennent la majorité au Sénat, en 2014 ou en 2016.

Réforme ou pas, cela dit, le président devra trouver des moyens de travailler avec les républicains au Congrès dans un plus grand nombre de dossiers.

5) Lutte contre les changements climatiques

Dans son discours de victoire, mardi soir, Obama a dit: «Nous voulons que nos enfants puissent vivre dans une Amérique qui n'est pas menacée par les pouvoirs destructeurs d'une planète qui se réchauffe.»

Plusieurs militants ont vu là le signe que le président s'apprête à prendre une position plus active sur la question des changements climatiques, dans l'actualité ces jours-ci en raison de la destruction provoquée par le passage de l'ouragan Sandy.

Après 15 années de hausse, les émissions de gaz à effet de serre ont chuté aux États-Unis entre 2007 et 2009, principalement à cause de la crise économique, et ont regrimpé depuis. Aujourd'hui, ces émissions sont de 10,5 % supérieures à ce qu'elles étaient en 1990 (alors que le PIB des États-Unis a presque triplé depuis).

Durant son second mandat, Obama aura l'occasion de s'attaquer aux «pouvoirs destructeurs» de la planète en rendant sa décision sur l'oléoduc Keystone XL, aujourd'hui à l'étude. De nouvelles règles visant à réduire les émissions de l'industrie du charbon pourraient également être à l'ordre du jour.

Déjà, les États prennent les devants. Ce mois-ci, la Californie mettra en vente les premiers permis de sa Bourse du carbone, le plus grand projet du genre jamais entrepris aux États-Unis, auquel participe le Québec.

L'administration Obama pourrait éventuellement s'inspirer de cette initiative pour lancer une «taxe sur le carbone» sur le plan fédéral. Une analyse de HSBC a montré cette semaine qu'une telle taxe pourrait réduire le déficit de moitié d'ici à 2022 - on ferait donc d'une pierre deux coups.

6) Héritage politique

Barack Obama a été élu deux fois à la présidence de la première puissance mondiale. Or, à ses yeux, ce n'est pas assez: Obama veut laisser sa marque.

C'est ce qu'ont récemment confié au New York Times un groupe d'historiens qu'Obama convie, une fois l'an, à dîner à la Maison-Blanche.

L'objectif de l'exercice : utiliser les leçons des présidents qui l'ont précédé pour les appliquer aux problèmes actuels.

Obama, disent-ils, est extrêmement préoccupé par la façon dont les générations futures percevront son administration.

Dans son deuxième mandat, Obama sera probablement tenté de consolider sa réforme de l'assurance maladie, dont les détails sont encore nébuleux pour une majorité d'Américains.

Les droits des homosexuels comptent certainement parmi les réalisations-clés de l'administration Obama. Le président pourrait continuer d'utiliser son porte-voix pour faire avancer cette cause de moins en moins controversée.

Placer les États-Unis sur la voie de l'équilibre budgétaire contribuerait aussi à faire de lui un personnage plus grand que nature. Les États-Unis se souviennent que Bill Clinton avait remis un budget équilibré à George W. Bush, qui n'a pas exactement fait de même avec Obama...

Et la lutte contre les changements climatiques pourrait prendre son envol sous sa présidence.

Personne ne sait si Obama réussira à devenir un personnage-clé de l'histoire. Une chose est claire: il est en train d'essayer.

Les six défis économiques d'Obama

1) Le mur budgétaire

C'est le défi le plus urgent du président Obama, qui pourrait signifier 2 millions d'emplois perdus s'il échoue.

Bref récapitulatif: durant la crise du plafond de la dette à l'été 2011, la Maison-Blanche et le Congrès, dont la Chambre des représentants est contrôlée par les républicains, se sont entendus pour une solution temporaire jusqu'au 1er janvier 2013 pour que le gouvernement puisse continuer à emprunter.

Les mêmes protagonistes doivent trouver une solution permanente, sinon il y aura des hausses d'impôt et des réductions de dépenses pour 607 milliards par année, soit environ 4 % de la taille de l'économie américaine. Un mur budgétaire qui n'aiderait pas la fragile relance de l'économique américaine.

«À court terme, ça aiderait le déficit gouvernemental, mais ça nuirait à l'économie», dit Francis Généreux, économiste au Mouvement Desjardins. Selon le Bureau du budget du Congrès, ces réductions budgétaires pourraient entraîner une perte de 2 millions d'emplois à elles seules.

Sans une entente, le gouvernement fédéral pourrait avoir de la difficulté à emprunter quelque part au début de 2013 puisqu'il aura atteint le plafond d'endettement permis par le Congrès (16 394 milliards).

2) Impôts : entre Bush et Buffett

Les baisses d'impôts accordées par le président George W. Bush en 2001 sont au coeur des négociations du précipice fiscal entre Barack Obama et les républicains de la Chambre.

Ces baisses d'impôt de 221 milliards par année se terminent le 1er janvier 2013. Les républicains veulent les garder, tandis que l'administration Obama veut seulement garder celles pour les contribuables gagnant moins de 250 000 $ par année.

Barack Obama est aussi favorable à la règle Buffett, soit un impôt minimal pour les millionnaires, mais il a peu de chances de parvenir à une entente sur ce point avec le Congrès républicain.

«Obama veut aussi hausser l'impôt sur les successions et sur les dividendes, mais tout le monde devra faire des compromis», dit l'économiste Francis Généreux.

221 milliards : coût annuel des baisses d'impôts, dont celles de George W. Bush, qui expireront à la fin de l'année s'il n'y a pas d'entente sur le précipice fiscal.

3) S'attaquer au chômage

Ce fut l'enjeu principal de la campagne électorale et, pourtant, la Maison-Blanche n'a qu'une influence limitée sur le taux de chômage, actuellement à 7,9 %. Selon les économistes, le chômage diminuera à 7,5 % en décembre 2013 et à 6,5 % en 2016, dernière année de la présidence d'Obama.

«On surestime l'impact des politiciens sur le taux de chômage, surtout dans le contexte où il faut rétablir les finances publiques comme c'est le cas actuellement aux États-Unis», dit l'économiste Francis Généreux.

Le principal levier de la Maison-Blanche pour réduire le chômage à court terme: investir dans des programmes d'infrastructures.

En 2011, les républicains au Congrès avaient bloqué les nouveaux investissements en infrastructures du président Obama, qui pourrait être tenté de revenir à la charge durant les négociations du précipice fiscal.

Une autre façon de faire baisser le chômage: faire en sorte que les États-Unis exportent davantage.

Le président Obama veut notamment créer 1 million d'emplois dans le secteur manufacturier et offrir des déductions fiscales plus généreuses aux PME.



7,9% Taux de chômage actuel : 7,9 %. Taux de chômage prévu par les économistes en 2016 : 6,5 %.

4) Réduire le déficit et la dette

C'est peut-être le plus grand défi économique du mandat, après avoir réglé l'urgence du précipice fiscal.

En campagne électorale, Barack Obama s'est bien gardé de donner un objectif précis. Mais s'il pouvait faire adopter son plan fiscal de 2011 par le Congrès, le déficit fédéral cumulatif passerait de 9000 à 6500 milliards sur 10 ans.

Même avec ce plan, le gouvernement fédéral serait toujours en situation de déficit en 2022. Par contre, le poids de la dette fédérale par rapport à la taille de l'économie resterait stable.

Pour l'instant, le problème de la dette a moins de conséquences, car les États-Unis empruntent à des taux d'intérêt très bas.

5) L'éternelle indépendance énergétique

Réduire la dépendance au pétrole étranger est un vieux refrain en campagne électorale présidentielle. C'est évidemment plus facile à dire qu'à faire.

«Le président Obama l'a fait au cours de son premier mandat (de 11 à 7 millions de barils de pétrole étranger par jour entre 2008 et 2012), mais ce sont les difficultés économiques qui ont fait en sorte que la demande a été moins forte», dit l'économiste Francis Généreux.

Le président Obama s'oppose au projet Keystone XL, un oléoduc pour faciliter l'approvisionnement de pétrole canadien.

«Les démocrates semblent vouloir sortir du pétrole tout court, au profit d'autres sources d'énergie comme le gaz de schiste, qu'on peut produire aux États-Unis», dit Francis Généreux.

+600 000 : nombre d'emplois dans l'industrie du gaz naturel promis par Barack Obama en campagne électorale.

6) Long fleuve tranquille à la Fed

En campagne électorale, Mitt Romney avait été on ne peut plus clair: s'il était élu, le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, quitterait son poste au terme de son mandat, en janvier 2014.

Beaucoup de républicains ne digèrent pas la politique monétaire de Bernanke - un ancien conseiller économique de George W. Bush, qui l'a nommé à la tête de la Fed en 2006 -, qui a assoupli la politique monétaire de la Fed pour améliorer la situation de l'emploi, particulièrement au cours des derniers mois.

La Fed maintiendra son taux directeur à 0 % au moins jusqu'en 2015.

«L'administration Obama est contente de la politique de la Fed, qui se préoccupe davantage de l'emploi puisque l'inflation est sous contrôle», dit l'économiste Francis Généreux.

Reconduit pour un deuxième mandat par Obama en 2010, Ben Bernanke pourrait obtenir un troisième mandat sous l'administration démocrate.

Sinon, l'actuel secrétaire au Trésor, Tim Geithner, ex-président de la Fed de New York, pourrait être un candidat de choix s'il quitte l'administration Obama, comme l'annoncent les rumeurs.