Fourgons cellulaires garés devant le palais de justice, meute de policiers filtrant les entrées; les autorités tunisiennes n'ont couru aucun risque, hier, pour la reprise du procès de Nabil Karoui, le patron de télévision accusé de blasphème pour avoir diffusé le film d'animation Persépolis.

Au terme d'une journée tendue à l'intérieur comme à l'extérieur de la salle d'audience, le tribunal de première instance de Tunis a annoncé que le verdict sera prononcé le 3 mai. Coïncidence, c'est aussi la date de la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse. Or, selon plusieurs observateurs, la conclusion de ce procès hyper médiatisé sera décisive pour la démocratie et la liberté d'expression dans la Tunisie postrévolutionnaire.

«Ce procès est très dangereux pour l'avenir de la Tunisie», affirme l'avocat Chokri Belaïd, aussi leader d'un mouvement politique de gauche. «Cela dépasse le cadre d'un simple procès. Nous affrontons aujourd'hui des intégristes salafistes qui en ont contre la liberté et contre la révolution en Tunisie.»

Dans le camp adverse, l'avocat Nourreddine Mahlouf espère non seulement faire condamner M. Karoui, mais aussi, et surtout, établir de nouvelles bases dans ce pays où tout reste à faire. «Nous sommes un peuple en construction. Il faut imposer des limites dès le début, explique-t-il. En Tunisie, il faut respecter Dieu.» M. Karoui affirme travailler à titre bénévole, tout comme le bataillon d'avocats qui défendent la cause des salafistes ayant porté plainte contre la diffusion de Persépolis, en octobre dernier.

Ce film franco-iranien de Marjane Satrapi, louangé par la critique internationale, raconte la vie d'une petite fille de Téhéran sous le régime de Khomeiny. En songe, la fillette rencontre Allah. Cette courte scène a mis le feu aux poudres, car l'islam interdit que Dieu soit représenté en image.

Patron de la chaîne de télévision privée Nessma, M. Karoui est passible de trois ans d'emprisonnement pour avoir enfreint les préceptes de l'islam. Son procès, ouvert le 16 novembre, a déclenché un tollé international et a profondément divisé la société tunisienne.

Hier, au centre-ville de Tunis, des dizaines de partisans et d'opposants se sont invectivés de part et d'autre des clôtures dressées par la police. Les uns ont crié leur dégoût à la «télé de la honte». Les autres ont entonné l'hymne national. «Si les salafistes ne sont pas contents, ils n'ont qu'à changer de chaîne! a lancé Mohammed, étudiant de Tunis. Cette affaire est gênante. Il y a des enjeux bien plus urgents dans notre pays.»

«Il ne s'agit pas de liberté d'expression, mais de protection du divin. Pour nous, c'est le plus important, a expliqué l'un d'eux, Abdelmajid Saïd. Tout ce procès, c'est du théâtre pour détourner le peuple des enjeux plus cruciaux de notre révolution.»

En cela seulement, tous semblaient d'accord.