Des tractations diplomatiques étaient en cours mercredi après le coup de théâtre du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, qui a passé sa première nuit réfugié à l'ambassade de l'Équateur à Londres pour échapper à son extradition vers la Suède.

Le ministère britannique des Affaires étrangères a réaffirmé mercredi être en « discussion » avec les autorités équatoriennes, à qui l'Australien de 40 ans a demandé l'asile politique.

Des négociations pourraient aussi impliquer la Suède pour que ce pays s'engage à ne pas remettre Julian Assange aux États-Unis, comme le craint le trublion de l'information, a estimé Helena Kennedy, avocate qui a conseillé dans le passé l'équipe de défense de l'Australien.

Si les Équatoriens reçoivent une telle garantie, « je pense qu'ils n'auront pas d'objection à le laisser partir pour la Suède », a-t-elle estimé sur la BBC.

Ce nouveau développement dans la saga Assange met dans l'embarras les autorités britanniques. Pendant plusieurs heures mercredi, le ministère de l'Intérieur, le ministère des Affaires étrangères et Soca, l'agence britannique du crime organisé, chargée de l'application des mandats d'arrêt européen, se sont renvoyé la balle pour communiquer sur l'affaire. Jusqu'à ce que le Foreign Office publie mercredi en fin de matinée un court communiqué reprenant les grandes lignes d'une réaction publiée la veille au soir.

Julian Assange a pris de court mardi tout le monde, y compris ses partisans, en se réfugiant à l'ambassade d'Équateur. Un rebondissement qui intervient alors qu'il a épuisé tous les recours juridiques au Royaume-Uni pour éviter son extradition vers la Suède, après un marathon judiciaire de 18 mois.

Son extradition n'était plus qu'une question de jours, a affirmé Helena Kennedy.

« J'ai été surpris », a reconnu Vaughan Smith, un ancien journaliste qui a hébergé pendant des mois Julian Assange. « Je pense qu'il craint pour sa vie et il craint que s'il va en Suède, il sera envoyé en Amérique », a-t-il réagi mercredi sur la BBC.

La justice suédoise souhaite interroger Julian Assange dans une affaire de viol et agression sexuelle présumés, des accusations qu'il a toujours catégoriquement niées, affirmant que les relations étaient consenties.

Depuis que l'affaire a éclaté fin 2010, au moment où son site internet WikiLeaks publiait des documents diplomatiques confidentiels américains, il ne cesse de répéter qu'il est victime d'un complot des États-Unis. Son inquiétude, martelée par ses avocats, est que la Suède l'extrade aux États-Unis, où il pourrait y encourir la peine de mort pour espionnage.

Il a choisi l'Équateur qui lui avait proposé de l'accueillir dès novembre 2010, au moment où il avait provoqué l'ire de Washington en publiant des milliers de télégrammes diplomatiques.

Sur le plan juridique, il est désormais « passible d'arrestation » pour avoir enfreint les dispositions de sa liberté conditionnelle accordée par la justice britannique fin 2010, a indiqué Scotland Yard.

Il est notamment soumis à un couvre-feu, doit résider à une adresse prédéterminée et se présenter quotidiennement à un commissariat de police. Le bracelet électronique qu'il doit porter en permanence l'empêche théoriquement de prendre la fuite.

Une trentaine de journalistes étaient postés mercredi devant l'ambassade, où aucun partisan de Julian Assange n'était visible. Depuis l'Australie, sa mère a, elle, estimé que le dernier coup de théâtre de son fils était « un dernier effort désespéré ».

Assange retourne dans la clandestinité

Depuis qu'il s'est livré à Scotland Yard en décembre 2010, le fondateur du site WikiLeaks âgé de 40 ans s'est constamment affirmé victime de « persécutions » dans son combat pour « libérer la presse », « démasquer les secrets et abus d'État ».

Il s'est dit « menacé de mort », a fustigé un « boycott économique », évoqué un complot ourdi par les autorités américaines pour le déporter à Guantanamo, via Stockholm.

La raison? WikiLeaks est la bête noire de Washington depuis la mise en ligne de centaines de milliers de documents confidentiels américains, rapports militaires sur l'Irak et l'Afghanistan puis télégrammes diplomatiques.

Assange s'est dit « abandonné » par son pays d'origine, l'Australie. Il a critiqué la constance des tribunaux britanniques à vouloir l'envoyer en Suède afin d'y répondre d'accusations - selon lui infondées - de viol et agressions sexuelles envers deux jeunes femmes.

Depuis trois semaines cependant, le communicateur charismatique semblait avoir abandonné l'avant-scène.

Il était anormalement absent du prétoire, quand la Cour suprême de Londres a rejeté son ultime appel le 14 juin, ratant du même coup un rendez-vous avec la presse et un carré de partisans.

Sa dernière apparition publique remonte au 25 mai. Bizarrement, il était apparu le visage dissimulé par un masque emprunté aux pirates informatiques « Anonymous ». Avec ce commentaire sibyllin : « Autant vous y faire, c'est peut-être ma dernière apparition en public. »

La première à applaudir sa demande d'asile auprès de l'Équateur a été sa mère Christine. « Tu as bien fait mon gars », a-t-elle commenté depuis l'Australie en le décrivant comme « un prisonnier politique ».

Assange peut également a priori compter sur le soutien du chef de l'État équatorien. Quand il l'a interviewé en avril, Rafael Correa a estimé avoir affaire à un homme « persécuté, calomnié et lynché médiatiquement » après avoir « mis en échec les États-Unis ».

L'interview s'inscrivait dans une série de talk-shows politiques controversés, menés par Assange sur la télévision pro-Poutine Russia Today. Le premier invité, Hassan Nasrallah, chef du mouvement chiite libanais Hezbollah, avait profité de la tribune pour réaffirmer son soutien au régime syrien de Bachar al-Assad engagé dans une sanglante répression.

Les détracteurs d'Assange ont vu dans cette initiative médiatique une preuve supplémentaire de la dénaturation de son « combat pour la vérité » en croisade antiaméricaine. Un reproche formulé par plusieurs « dissidents » de WikiLeaks, dont l'ancien porte-parole de l'organisation, l'Allemand Daniel Domscheit-Berg.

Reclu à l'ambassade d'Équateur, l'Australien blond au sourire volontiers sarcastique retrouve une certaine clandestinité. Comme au temps où il évitait de dormir deux nuits de suite au même endroit, et changeait constamment les puces de son téléphone pour effacer ses traces.

Il avait été désigné peu après « homme de l'année » par Time magazine et Le Monde, et distingué par de nombreux défenseurs des droits de l'homme. Mais aujourd'hui, celui qui se targue d'avoir inventé « le premier service de renseignements du peuple au monde » semble bien esseulé.

La plupart des grands médias à l'avoir soutenu en diffusant ses scoops ont pris leurs distances. Il a changé plusieurs fois d'avocats. S'est brouillé avec son éditeur. Au point que ce dernier a publié une autobiographie bizarrement qualifiée de « non-autorisée ». « Je suis peut-être un phallocrate, mais pas un violeur », y déclare Assange.

Dans son combat pour exister médiatiquement, il est allé jusqu'à prêter sa voix à un personnage à son effigie dans la série animée des Simpsons, un exercice d'autodérision dont il est peu coutumier.