Les médias égyptiens promettent une «bataille» imminente, mais au premier jour de l'Aïd el-Fitr, sur la place Rabaa al-Adawiya où des milliers de manifestants pro-Morsi sont barricadés depuis un mois, des centaines d'enfants se trémoussent devant Bob l'éponge et Barney le dinosaure.

Pour la prière de la mi-journée, leurs parents se prosternent par milliers sous une chaleur torride, arrosés continuellement d'eau par de jeunes gens au moyen de vaporisateurs pour insecticide. Juste après, les enfants en habits de fête se massent devant la grande scène sonorisée, où d'ordinaire imams et dirigeants des Frères musulmans haranguent la foule, réclamant le retour au pouvoir de Mohamed Morsi, premier président égyptien élu démocratiquement, destitué et arrêté par l'armée le 3 juillet.

L'apparition de trois enfants arborant les costumes de Bob, Barney et Shaun le mouton déclenche une véritable hystérie, et les dizaines d'hommes au gilet orange fluo chargés de la sécurité des lieux coincent leurs bâtons et barres de fer sous l'aisselle pour claquer aussi des mains en rythme.

La veille, le gouvernement intérimaire installé par l'armée a annoncé que les médiations internationales avaient échoué et que la trêve que les forces de l'ordre avaient respectée pendant le ramadan prenait fin.

La communauté internationale redoute qu'une intervention imminente de la police sur les places Rabaa al-Adawiya et Nahda ne tourne au bain de sang: 250 personnes --quasiment toutes des pro-Morsi-- ont été tuées depuis un mois dans des affrontements avec la police ou l'armée.

Mais jeudi, premier jour de l'Aïd el-Fitr qui marque la fin du ramadan, la place Rabaa s'est transformée en grande kermesse, devenant un parc d'attractions improvisé avec trampolines, manèges de fortune et ballons multicolores.

Personne ne laisse paraître la moindre inquiétude à l'approche de ce qui ressemble à un ultimatum des forces de l'ordre: la fin des fêtes du ramadan. Sous les innombrables portraits de Morsi et des photos de «martyrs» éviscérés ou démembrés, deux adolescentes déambulent, le visage joliment maquillé encadré par un hijab.

«On ne bougera pas»

«Nous sommes venues célébrer l'Aïd avec nos parents qui dorment ici jour et nuit», explique Manar. La police ? «Pour l'instant, la place est sécurisée. Mais s'ils viennent, on ne bougera pas, nous n'avons pas peur».

Seul signe que l'on se trouve bien dans un véritable camp retranché: le parcours du combattant imposé à tous ceux qui y pénètrent. Deux rideaux de barricades séparent la place Rabaa des chars de l'armée à plusieurs centaines de mètres en contrebas. La première --un empilement de briques arrachées des trottoirs-- ne résisterait pas au passage d'une jeep, la seconde, juste à l'entrée de la place, faite de sacs de sable empilés, sera l'ultime rempart.

De part et d'autre, trois rangées d'hommes et femmes au gilet orange fouillent scrupuleusement les arrivants. En ce jour de fête, les visiteurs ont droit à un peu de parfum sur la main, en signe de bienvenue.

Chaque entrée est encadrée par deux imposants tas de pierres, rondes ou aux angles acérés, la promesse d'un rude accueil pour les policiers qui s'approcheront.

Au premier abord sévères, les visages des gardes improvisés s'illuminent quand on présente des cartes de presse étrangères, et le tapis rouge est littéralement déroulé. Les Frères musulmans n'exècrent rien tant que les médias égyptiens qui ont quasi-unanimement pris fait et cause pour l'armée, traitant à longueur de colonnes les pro-Morsi de «terroristes».

Le gouvernement et la presse accusent également les Frères musulmans d'utiliser les nombreux enfants place Rabaa comme «boucliers humains».

À l'intérieur, impossible de vérifier les accusations du gouvernement sur la présence d'armes automatiques stockées sous les innombrables tentes. Il ne faut surtout pas avoir l'air de fouiner, car tout au long de la large avenue qui mène au coeur du sit-in, la mosquée Rabaa al-Adawiya, des hommes à la mine patibulaire surveillent chaque inconnu, «espion» présumé.

Un groupe de «gilets oranges» déboule d'ailleurs en encadrant fermement un homme à l'air terrorisé, le poussant sans ménagement. «C'est un voleur», assène, dissuasif, l'un des gorilles. Il apparaît hasardeux de tenter de les suivre.

Selon des témoignages recueillis par Amnesty International, des opposants aux pro-Morsi ont subi des tortures dans ces rassemblements.

Autour de la mosquée, dont les latrines assaillies dégagent une odeur nauséabonde, les petits vendeurs de casquettes, boissons, jouets et friandises, eux, font leurs affaires. «Air conditionné, air conditionné !» crie l'un d'eux, hilare, en brandissant de petits ventilateurs à pile de confection chinoise.