L'armée égyptienne a été accusée jeudi de renforcer son pouvoir par «un coup d'État» sous couvert de décisions de justice, à deux jours d'un duel à la présidentielle décisif pour l'avenir du pays.

L'annonce par la Cour constitutionnelle que le Parlement, dominé par les islamistes, était «illégal», a été qualifiée de «coup d'État total» par un haut responsable de la confrérie des Frères musulmans, Mohammed Beltagui.

Au-delà des arguments juridiques invoqués, M. Beltagui a directement mis en cause le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige le pays depuis la chute du régime de Hosni Moubarak en février 2011, qui veut «effacer la période la plus honorable dans l'histoire de notre patrie».

«Nous sommes en train de connaître un coup d'État en douceur. Nous devrions nous révolter si nous n'étions pas déjà tant épuisés» par près d'un an et demi d'une transition politique mouvementée, a estimé sur Twitter l'un des principaux militants des droits de l'Homme égyptiens, Hossam Baghat.

«C'est une décision politique, comme le montre le moment choisi» juste avant le second tour de la présidentielle samedi et dimanche qui opposera Ahmad Chafic, issu des rangs de l'armée, au Frère musulman Mohammed Morsi, a assuré un militant islamiste en vue, Ibrahim al-Houdaiby.

Washington a appelé les autorités à respecter le processus «démocratique» en Égypte, tout en indiquant étudier les décisions de la cour.

La mise hors jeu de l'Assemblée pourrait permettre au CSFA de reprendre à son compte le pouvoir législatif, comme cela a été le cas entre la chute de M. Moubarak et l'élection des nouveaux députés.

La Cour constitutionnelle a aussi décidé d'invalider une loi qui aurait pu disqualifier la candidature de M. Chafiq, dernier Premier ministre de Hosni Moubarak, resté dans la course.

Cette loi votée en avril par le Parlement frappait d'inéligibilité les anciens hauts responsables du régime déchu. Mais la décision de la Cour, qualifiée «d'historique» par M. Chafiq lui-même, a levé cette hypothèque.

Les arrêts de la Cour s'inscrivent aussi parmi d'autres mesures qui témoignent d'une volonté du pouvoir militaire d'affirmer son emprise.

Dix-sept organisations égyptiennes de défense des droits de l'Homme ont ainsi dénoncé la décision mercredi de restituer à la police militaire et aux renseignements militaires le droit de procéder à des arrestations de civils.

Cette mesure d'exception avait en principe disparu le 31 mai, avec la fin de la loi sur l'état d'urgence en vigueur sans discontinuer depuis 1981.

Une telle mesure est «dépourvue de base légale» et «pourrait mettre en place des restrictions pires que celles qui étaient sous (la loi sur) l'état d'urgence», affirment ces ONG dans un communiqué.

L'armée, épine dorsale du pouvoir et à la tête d'un opaque empire économique, a donné à l'Égypte tous ses présidents depuis la chute de monarchie en 1952: Naguib, Nasser, Sadate puis Moubarak.

En première ligne pour diriger le pays depuis la chute de ce dernier, elle a promis un retour à un pouvoir civil avant la fin juin, une fois le prochain président élu. De nombreux commentateurs et responsables politiques estiment toutefois qu'elle continuera à jouer en coulisse un rôle important.

Une victoire de M. Chafiq lui poserait toutefois moins de soucis que celle de M. Morsi, dont le mouvement, les Frères musulmans, a une rivalité historique avec l'armée.

Autrefois interdite, alternativement tolérée ou férocement réprimée, la confrérie a su aussi à plusieurs reprises ménager les militaires.

M. Morsi, dans une première réaction aux décisions de la cour constitutionnelle, s'est d'ailleurs abstenu de polémiquer. «Je respecte le jugement de la Haute cour constitutionnelle, en raison de mon respect pour les institutions de l'État et pour le principe de la séparation des pouvoirs».