Pendant des décennies, les Libyens ont été forcés d'étudier les théories fumeuses du livre vert de Mouammar Kadhafi. Depuis la chute du colonel, les essais politiques font fureur. Ils étaient en vedette au Salon du livre qui s'est terminé hier, à Tripoli. Avides d'en apprendre sur leur propre histoire ou de découvrir les secrets de l'ancien régime, les Libyens se ruent sur ces ouvrages autrefois interdits.

Tout le monde en parle. Sa couverture, une mosaïque de personnages représentant la tête de Kadhafi, accroche l'oeil tout comme son titre: Des hommes autour de Kadhafi. Son auteur est l'ancien ambassadeur de Libye à l'ONU, Abderrahmane Chelgem.

Moufida Ben Youssef a attendu la deuxième impression pour l'acheter. «Le livre est très intéressant. Il raconte de l'intérieur comment Kadhafi dirigeait le pays aidé de ses amis. On apprend beaucoup de choses. On ne savait pas ce qu'il se passait.» Notamment les atrocités commises par l'ancien régime.

Moufida est encore choquée par l'épisode du massacre de la prison d'Abou Salim. Le 29 juin 1996, Kadhafi a ordonné l'exécution de 1270 prisonniers politiques. «Le Leader [Kadhafi] racontait que c'était des mauvais musulmans, des mécréants, qu'en les tuant, on faisait une bonne action. Dans le livre, on apprend que c'était juste des hommes qui avaient des idées différentes.» Moufida espère que ces livres sur le régime de Kadhafi seront utilisés pour juger les anciens hommes forts libyens, aujourd'hui en prison.

Un tour de force

Conséquence de la chute du despote libyen, les livres traitant de politique sont devenus un objet indispensable dans la maison au même titre que le tapis de prière. «Sous Kadhafi, les livres politiques étaient interdits. Et maintenant les Libyens veulent savoir la vérité», explique Mahmoud Achrif, responsable d'une maison d'édition à Tripoli. Trente livres politiques ont été publiés depuis la fin de la guerre. Un tour de force pour un secteur qui partait de zéro: seul le livre vert du roi des rois d'Afrique était autorisé dans le rayon politique des librairies.

Au premier Salon du livre libyen, le livre politique est la vedette. Tous les stands proposent un ou plusieurs ouvrages sur le sujet. Le livre d'Abderrahmane Chelgem est évidemment bien en vue. Un libraire assure en avoir vendu 25 000 exemplaires, rien que dans son magasin.

Découvrir l'avant-Kadhafi

Adha ne s'intéresse pas à Kadhafi, mais à ce qu'était la Libye avant son règne. Il cherche tout ce qu'il peut trouver sur l'époque de la monarchie de Senoussi (1951-1969). Soudain, au détour d'une allée du Salon du livre, il tombe sur les mémoires de l'ancien premier ministre Mohammed Osman Al-Said. Il s'enthousiasme: «Regardez, sous Kadhafi ce livre était interdit. Il n'y avait rien qui parlait de cette période. Maintenant tout est ouvert. À Benghazi, les archives sur l'histoire du royaume étaient inaccessibles, aujourd'hui tout le monde peut les consulter.» Profitant de cette liberté nouvelle, Adha veut défricher cette terra incognita en écrivant un mémoire sur la décennie 1955-1965. Avec un âge médian de 25 ans, la plupart des Libyens n'ont jamais connu autre chose que Kadhafi. Noura s'intéresse également à l'histoire ancienne de son pays. Plus précisément, la période antique. Elle souhaite remettre au jour ce passé glorieux pour mettre le tourisme en valeur.

Des fresques grivoises

L'attrait de ces livres réside aussi dans la recherche d'anecdotes croustillantes. Les histoires sur la libido du Guide circulaient en cachette. Aujourd'hui, elles sont divulguées noir sur blanc. Comme le drôle de rôle joué par une ancienne ministre de la Culture dont la tâche principale consistait à trouver des filles pour les amener dans le lit de Kadhafi.

Loin de ces fresques grivoises, le nouveau marché éditorial voit éclore des ouvrages à la gloire d'Al-Qaïda. «Des librairies proposent ce genre de littérature depuis la chute de Kadhafi», regrette Mossaw Shadhosh, libraire dans l'une des principales artères du centre-ville. Le prix de la liberté.