Pour la première fois en près d'un demi-siècle, les Libyens sont appelés aux urnes aujourd'hui pour élire une assemblée constituante. Mais la route vers la démocratie est semée d'obstacles pour ce pays d'Afrique du Nord, longtemps dirigé d'une main de fer par Mouammar Kadhafi. Les violences meurtrières, les appels au boycottage et l'omniprésence des milices rebelles menacent sérieusement le processus électoral. Et risquent de torpiller les espoirs d'une nouvelle Libye démocratique. Éclairag

Lukman al-Charrif distribue des tracts sur la place des Martyrs, au centre de Tripoli. Mécaniquement, les passants saisissent la brochure pour y jeter un coup d'oeil. Anodine, cette scène de campagne électorale, la Libye n'en a plus connu depuis plus de 40 ans.

Pendant la campagne électorale qui prend fin aujourd'hui, l'étudiant en ingénierie a parcouru la ville pour coller des affiches de sa formation, L'union pour la patrie. «Nous sommes là pour réussir le grand changement», dit-il.

Pour l'instant, le grand changement n'est visible que dans la rue. Les caricatures de Kadhafi ont laissé place aux portraits des 3707 candidats qui se disputent les 200 sièges de l'assemblée constituante.

La campagne électorale n'a duré que trois semaines. Trop court pour les 2,7 millions d'inscrits. Khari Benmiloud, jeune de Tripoli, se sent démuni. «Je n'ai pas encore choisi, je n'ai pas assez d'information. Je parle politique avec mes amis, mais, eux aussi ne connaissent pas les candidats. Je pense voter blanc.»

Paradoxalement, les multiples candidatures ne s'accompagnent pas d'une offre politique diversifiée. «Reconstruire le pays», «Garantir les libertés», «Un pays pacifié», telles sont les généralités qu'ont répétées, en boucle, les prétendants à la députation. Alamin Belhaj, responsable d'une importante organisation politique, Adala wa Bina (Justice et développement, proche des Frères musulmans), ne s'en cache pas. «La plupart des candidats sont incompétents. C'est pour ça que nous organisons des formations.»

Les élus seront choisis essentiellement sur des critères de proximité: familiale, amicale ou tribale. «Il est normal de voter pour celui qui défend nos intérêts», analyse Ahmed Agatrash, professeur de sciences politiques à l'Université de Tripoli.

Cette configuration favorise les formations islamiques, largement implantées dans la vie sociale. La principale ligne de fracture se situe entre les libéraux et les fondamentalistes. Mais la majorité des 130 forces politiques (les partis sont toujours interdits) revendique un État uni et démocratique basé sur un islam modéré.

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Trois régions distinctes

Jusqu'en 1934, date à laquelle les Italiens ont unifié la Libye, trois territoires de l'ancien Empire ottoman vivaient côte à côte, séparés géographiquement par la mer, les montagnes ou le désert.

1. Tripolitaine

Tournée vers le Maghreb, courant sur le littoral méditerranéen, la Tripolitaine a été favorisée durant le règne de Kadhafi. De tradition plus commerçante, la Tripolitaine est aussi la plus peuplée des provinces libyennes. Nombre de sièges: 100

2. Cyrénaïque

De l'autre côté du golfe de Syrte, l'ancien émirat de Cyrénaïque et sa capitale, Benghazi, ont été fondés par les Grecs de l'Antiquité. Berceau de la révolution contre Kadhafi, la Cyrénaïque revendique une appartenance au Moyen-Orient. Nombre de sièges: 60

3. Fezzan

Au sud, en plein désert du Sahara, le Fezzan partage les mêmes particularités géographiques que le Niger et le Tchad. L'ancienne colonie française, pays touareg, est peu peuplée, mais regorge d'hydrocarbures. Nombre de sièges: 40