L'accord de cessez-le-feu en Syrie passé entre Russes et Américains semble plus prometteur que les précédentes tentatives, mais les incertitudes sont légion, liées à la nature même des combattants - rebelles «modérés» ou djihadistes -, et à la position qu'adoptera la Turquie.

Quelles sont les chances de succès d'un cessez-le-feu?

«C'est la première fois qu'un cessez-le-feu général est passé, qui couvre plus qu'une région géographique particulière», a jugé Yezid Sayigh de la fondation Carnegie (Beyrouth), après l'annonce de ce projet américano-russe de trêve, prévue pour débuter samedi à 0 h locale (17 h vendredi, heure de Montréal).

«Si le scepticisme est toujours de mise, il semble y avoir aujourd'hui une coordination encore plus étroite entre Russes et Américains, qui semblent prêts à se porter garante de cette trêve et à influencer leurs alliés respectifs», explique Karim Bitar, de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris, Paris).

«Je le croirai quand je le verrai», note à l'inverse François Heisbourg, président de l'International Institute for Stategic Studies (IISS, Londres).

Le chef de la diplomatie américaine «John Kerry a l'air d'y croire, mais on n'a pas de définition commune de ce qu'est un terroriste», ajoute-t-il.

L'accord, qui a été accepté par Damas, exclut les djihadistes du groupe État islamique (EI) et du Front al-Nosra, branche syrienne d'Al-Qaïda, qui contrôlent de larges pans du territoire syrien.

Or c'est précisément concernant Al-Nosra que le bât risque de blesser, puisque ce puissant groupe armé est dans plusieurs régions un allié des groupes rebelles dits «modérés» soutenus par les États-Unis, la Turquie et l'Arabie saoudite.

«Les Russes vont choisir leurs batailles - probablement des villes stratégiques, sous le prétexte qu'elles sont contrôlées par Al-Nosra. Et ils mettront les populations devant le choix suivant: soit vous acceptez que le gouvernement gagne du terrain, soit vous êtes considérées comme des terroristes», estime Firas Abi Ali, du centre de recherches IHS (Londres).

Pourquoi la Russie a-t-elle opté pour un cessez-le-feu?

«Cet accord survient après des succès militaires syrien et russe sur le terrain», notamment le quasi-encerclement de la grande ville du nord, Alep, note Bertrand Badie, professeur en relations internationales à Sciences Po Paris.

«Maintenant, Bachar al Assad et (Vladimir) Poutine se disent qu'ils ont besoin d'une ratification politique de leurs victoires militaires», ajoute-t-il.

«Poutine avait deux options: transformer un succès militaire en succès diplomatique, ou offrir à Bachar la possibilité de nouveaux gains militaires. Il a choisi la première option, parce qu'il a besoin de marquer des points sur le terrain diplomatique», explique-t-il.

«Les Russes ont pesé les risques» et fait des choix, note pour sa part l'analyste russe Fyodor Lukyankov, du Conseil de politique extérieure et de défense, un organisme progouvernemental. «Devaient-ils se satisfaire de ce qu'ils ont gagné, ou devaient-ils continuer à avancer, sur le terrain militaire?»

Quelles conséquences aura une trêve sur la guerre contre l'EI?

Toutes les avancées vers une trêve permettront à la Russie et aux États-Unis d'accentuer la pression sur les bases de l'EI, à Raqqa et ailleurs, selon le groupe de réflexion stratégique américain Soufan.

«Lorsqu'une carte de cessez-le-feu sera dressée, les zones les plus faciles à définir, et à continuer à viser par des bombardements aériens, seront celles tenues par l'EI», estime Soufan.

L'EI a tenté de se mettre en travers de l'accord de cessez-le-feu avec une série d'attentats dimanche près de Damas, qui ont tué 120 personnes, les plus meurtriers depuis le début de la guerre il y a cinq ans.

La Turquie va-t-elle cesser de bombarder les Kurdes syriens, ce qui complique encore la donne?

«Probablement pas», estime François Heisbourg. Le président turc Recep Tayyip Erdogan «réagit comme Poutine» et fera ce qu'il jugera être son intérêt, même si son pays est membre de l'OTAN.

«Il n'est pas du tout certain qu'ils obéiront aux Américains et respecterons un cessez-le-feu», approuve M. Badie. «Parce qu'aujourd'hui - et c'est toute la différence avec les années de Guerre froide - les dirigeants des pays alliés n'en font souvent qu'à leur tête.»

Le plan B de Kerry

Le secrétaire d'État américain John Kerry a évoqué mardi un éventuel «plan B» pour la Syrie en cas d'échec du processus diplomatique et politique que les États-Unis et la Russie tentent de faire avancer notamment via le cessez-le-feu prévu en fin de semaine.

Des rumeurs sur un hypothétique «plan B», c'est-à-dire l'accent mis davantage sur l'option militaire internationale pour mettre fin au conflit en Syrie, avaient déjà circulé début février entre des diplomates et dans la presse, à l'occasion d'un énième voyage de John Kerry en Europe.

Mais le secrétaire d'État mise tout depuis trois ans sur la diplomatie pour trouver une porte de sortie à la guerre.

Il est l'artisan avec son homologue russe Sergueï Lavrov d'un plan de paix qui s'est traduit par plusieurs accords internationaux depuis 2012 : à Genève, Vienne, New York et le dernier à Munich le 12 février signé par 17 pays et trois organisations multilatérales du groupe international de soutien à la Syrie (ISSG).

Volet de ce texte : les présidents américain et russe Barack Obama et Vladimir Poutine se sont entendus lundi sur les modalités d'un cessez-le-feu en Syrie à compter de samedi 27 février à 0 h locale.

Les accords internationaux prévoient aussi un processus de transition politique en Syrie, comme des élections et une Constitution dans les prochains mois.

«Quand j'ai rencontré le président Poutine (en décembre à Moscou, NDLR) je lui ai dit très directement que le test n'allait pas se révéler dans six mois ou dans un an et demi quand les élections seront censées se dérouler», a expliqué M. Kerry devant la commission des Affaires étrangères du Sénat américain.

«Nous allons savoir dans un mois ou deux si ce processus de transition est vraiment sérieux. (Le président syrien Bachar al) Assad va lui-même devoir prendre de véritables décisions sur la formation d'un processus de gouvernement de transition», a poursuivi le chef de la diplomatie américaine.

Et «si ce n'est pas le cas, comme vous l'avez lu dans les journaux et probablement entendu, il y a évidemment des options d'un plan B qui sont examinées», a ajouté M. Kerry, sans être plus précis.

Depuis le début de la crise et de la guerre en Syrie en 2011, l'administration Obama a opté pour un soutien financier et militaire à des groupes d'opposition syriens, puis a monté une coalition militaire internationale qui frappe depuis l'été 2014 l'EI. Mais les États-Unis refusent de s'impliquer davantage militairement en Syrie, notamment par l'envoi de troupes au sol, à l'exception de forces spéciales.