Des centaines de milliers d'Égyptiens ont envahi mardi les rues pour la plus importante mobilisation en huit jours de contestation contre le président Hosni Moubarak appelé plus que jamais à partir après 30 ans au pouvoir.

À la faveur du soutien de la toute-puissante armée, qui s'est engagée à ne pas tirer sur eux, hommes, femmes, enfants et vieillards ont manifesté pour exiger le départ de M. Moubarak qui semble s'accrocher désespérément au pouvoir en proposant un dialogue et des réformes aussitôt rejetés.

Les manifestants ont répondu à l'appel de l'opposition pour la «marche d'un million» au Caire et à Alexandrie, deuxième ville d'Égypte, après avoir rendu responsable leur président de tous les maux -pauvreté, chômage, violation des libertés, corruption et verrouillage politique.

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Mohamed ElBaradei, la figure la plus en vue de l'opposition, a appelé M. Moubarak à partir «au plus tard vendredi», en se prononçant pour «une sortie honorable» du président.

Face à l'épreuve de force persistante, les Etats-Unis sont entrés en contact avec les deux camps: un ex-diplomate américain Frank Wisner devait rencontrer au Caire de hauts dirigeants du régime, alors que l'ambassadrice des Etats-Unis Margaret Scobey s'est entretenue au téléphone avec M. ElBaradei.

Dans le même temps, ils ont ordonné le départ du personnel non essentiel de leur ambassade au Caire, alors que le mouvement de contestation, du jamais vu depuis 1981, a fait depuis le 25 janvier au moins 300 morts selon un bilan non confirmé de l'ONU, et des milliers de blessés.

Dans le centre du Caire, la grande place Tahrir (place de la Libération), épicentre du mouvement, a été prise d'assaut par une marée humaine.

L'atmosphère y était très festive, les manifestants, dansant et chantant en conspuant le président égyptien.

Un graffiti sur le pont menant à la place disait «Va-t-en, imbécile», à l'attention de M. Moubarak.

Les passants applaudissaient à la vue de deux mannequins représentant M. Moubarak pendu, avec l'étoile de David sur sa cravate et des liasses de dollars dans les poches.

Couché par terre, faisant le mort, Tarik Chabassi, criait: «La liberté ou la mort! Je suis prêt à rester là 10, 20 ou 30 ans. Mourir pour moi ne signifie rien, puisque je suis mort il y a 30 ans, quand Moubarak est arrivé au pouvoir».

L'armée a fermé le matin les accès à la capitale et à d'autres villes, et des hélicoptères survolaient régulièrement le centre du Caire. Le trafic ferroviaire était interrompu sur décision des autorités pour empêcher un déferlement sur la capitale.

Mais les soldats accueillaient les manifestants avec le sourire, tout en contrôlant les sacs. Les médias officiels mettaient en garde contre des «fauteurs de troubles qui tenteraient de semer la discorde entre l'armée et la population».

À Alexandrie, deuxième ville du pays sur la Méditerranée, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées devant la mosquée Qaëd Ibrahim et la gare ferroviaire.

À Suez (est), 15 000 personnes ont défilé, alors qu'elles étaient 40 000 à Mansoura (delta), 5 000 à Tanta (delta) et 10 000 Mahalla (delta).

Les manifestants répondaient aux appels d'organisations pro-démocratie issues de la société civile, soutenues par M. ElBaradei, une partie de l'opposition laïque et par les Frères musulmans, la force d'opposition la plus influente du pays.

L'annonce lundi d'un nouveau gouvernement et la proposition du vice-président Omar Souleimane d'un dialogue avec l'opposition ont été rejetées par les manifestants et l'opposition, pour qui seul le départ de M. Moubarak viderait les rues d'Égypte.

Un comité représentant les forces de l'opposition a dit qu'il n'entamerait pas de négociations avant le départ de M. Moubarak. Il a réclamé la dissolution de l'assemblée et la formation d'un gouvernement d'union nationale pour gérer les affaires courantes et «préparer des élections transparentes».

Pour mobiliser, les organisateurs comptaient sur le bouche-à-oreille, Internet restant bloqué et le service de messagerie mobile perturbé.

Après une semaine de protestations, les contrecoups économiques de la révolte se faisaient sentir en Égypte. Les touristes, l'une des principales sources de revenus pour l'Égypte, ont renoncé à venir, et l'aéroport du Caire était toujours envahi par les étrangers voulant fuir l'incertitude.

Banques et Bourse étaient fermées, le carburant manquait, et l'appel à la grève générale était toujours en vigueur. Après Moody's lundi, l'agence de notation Standard and Poor's a abaissé d'un cran la note de l'Égypte.

Mais le Fonds monétaire international (FMI) s'est dit prêt à aider l'Égypte à reconstruire son économie.

L'Unesco a lancé un appel à la sauvegarde du patrimoine de l'Égypte, réclamant des mesures pour protéger «les trésors» du pays, dans les musées et sur les sites culturels.