«La France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l'islamisme radical», mais «pas contre une religion», a affirmé mardi le gouvernement français, à la veille d'un tirage record du premier numéro de Charlie Hebdo depuis les attentats.

Une semaine après l'attaque contre sa rédaction, le journal satirique devait être tiré à trois millions d'exemplaires, dont des versions en langues étrangères. Sa Une croque Mahomet en larmes (la plupart des musulmans interdisent la représentation du prophète) avec un titre assurant que «Tout est pardonné».

En Israël et près de Paris, 5 des 17 victimes des trois djihadistes ont été inhumées.

«Notre grande et belle France ne rompt jamais, ne cède jamais, ne plie jamais. Elle fait face, elle est debout», a martelé à Paris le président François Hollande, solennel, lors d'une émouvante cérémonie d'hommage aux trois policiers tués dans les attaques.

À l'Assemblée nationale, ovationné debout par l'ensemble de la classe politique, opposition de droite comprise - un fait très rare -, le premier ministre socialiste Manuel Valls a réitéré la fermeté française et lancé un appel appuyé à la «laïcité», référence cardinale du système français.

M. Hollande a demandé aux Français de «redoubler de vigilance» face à un danger «au-delà de nos frontières» comme «à l'intérieur».

Les dirigeants du monde entier «commencent à comprendre» la «menace claire et réelle pour la paix» représentée par «l'islam extrémiste», a fait écho le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, lors des funérailles à Jérusalem des quatre juifs tués vendredi à Paris dans l'attaque d'un supermarché casher.

Les trois Français Yohan Cohen, Philippe Braham et François-Michel Saada, et le Tunisien Yoav Hattab, abattus par le djihadiste Amédy Coulibaly, ont été portés en terre dans le cimetière du Har Hamenouhot (Mont du Repos), la plus grande nécropole de la ville.

Trois ans après la mort de trois enfants et un enseignant juifs par un autre jihadiste, Mohamed Merah, ces nouveaux décès ont renforcé en Israël le sentiment d'une France devenue terre hostile, incapable de protéger sa communauté juive, la troisième au monde après l'État hébreu et les États-Unis.

«Vivre libres»

«L'antisémitisme n'a pas sa place en France», a assuré la numéro trois du gouvernement français, Ségolène Royal, présente aux funérailles, en renouvelant «la détermination sans failles» de son pays «à lutter contre toutes les formes d'actes antisémites».

Autre enterrement hautement symbolique: Ahmed Merabet, policier français musulman, victime des frères Saïd et Chérif Kouachi, les deux djihadistes tueurs de Charlie Hebdo, a été inhumé près de Paris. Son exécution en pleine rue, filmée et diffusée sur internet, avait suscité une énorme émotion.

Il est l'un des trois policiers tués par les djihadistes, avec Franck Brinsolaro, abattu dans l'attaque de Charlie Hebdo, et Clarissa Jean-Philippe, jeune policière municipale antillaise tuée par Amédy Coulibaly jeudi au sud de Paris, près d'une école juive.

«Clarissa, Franck, Ahmed sont morts pour que nous puissions vivre libres», a clamé François Hollande, saluant en eux «trois visages de la France» devant leurs familles et collègues en pleurs.

De l'Europe à l'Australie, de nombreux journaux dans le monde ont reproduit sans attendre la Une de Charlie Hebdo.

Mais le portrait du prophète, tenant la pancarte «Je suis Charlie» brandie par près de quatre millions de manifestants dimanche dans les rues de France, a été dénoncé comme une «provocation» par l'autorité musulmane en Égypte. Au Pakistan, une manifestation à Peshawar a loué l'action des frères Kouachi.

«Appel au calme»

En France, les principales organisations musulmanes ont appelé la communauté «à garder son calme» et «respecter la liberté d'opinion».

«Le Mahomet que j'ai dessiné, c'est un bonhomme qui pleure avant toute chose», a expliqué Luz, son auteur. «Je suis Charlie, je suis juif, je suis policier, je suis musulman», a ajouté, ému, le caricaturiste, rescapé de la tuerie du 7 janvier, car il était arrivé en retard.

À l'Assemblée nationale, où les députés ont voté la poursuite de l'intervention militaire française en Irak contre le groupe État islamique, une minute de silence a été observée en mémoire des victimes des attentats.

Ils ont ensuite entonné tous ensemble l'hymne national - une première depuis 1918 - avant de réserver une ovation aux forces de l'ordre.

Manuel Valls a appelé à prendre «des mesures exceptionnelles» face à l'extrémisme, mais «jamais des mesures d'exception», récusant l'idée d'une législation d'urgence sur le modèle du Patriot Act américain.

Ce dispositif, voté aux États-Unis dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, avait été durement critiqué ensuite pour ses atteintes aux libertés civiques.

M. Valls a annoncé la création d'ici la fin de l'année de «quartiers spécifiques» dans les prisons pour isoler les détenus djihadistes afin de prévenir tout prosélytisme. Deux des djihadistes des attentats de Paris, Amédy Coulibaly et Chérif Kouachi, avaient basculé en prison dans l'islamisme radical.

Entre 3000 et 5000 Européens sont partis faire le djihad dans des pays comme la Syrie et ils pourraient représenter une menace de retour chez eux, selon le directeur d'Europol, Rob Wainwright.

Pour rassurer la population et parer à la menace de nouveaux attentats, le gouvernement français a mobilisé près de 15 000 policiers et militaires. Mission: protéger tous les «lieux sensibles du territoire», avec une sécurisation particulière des 717 écoles et lieux de culte juifs du pays.

La communauté musulmane, inquiète elle aussi d'une recrudescence d'actes islamophobes, a réclamé une protection renforcée des mosquées.

Photo MARTIN BUREAU, AFP

Photo FRANCOIS MORI, AFP

François Hollande et Manuel Valls