La France a déployé des forces supplémentaires pour « optimiser » les contrôles à ses frontières, a annoncé samedi son ministre de l'Intérieur, jugeant « extrêmement élevé » le niveau de menace au lendemain de l'arrestation d'un suspect-clé des attentats de Paris.

Depuis le rétablissement des contrôles frontaliers le 13 novembre, soir des attaques fatales à 130 personnes à Paris, « près de 5000 policiers » ont été déployés aux frontières, a dit Bernard Cazeneuve sur la chaîne de télévision privée TF1.

Or cette mesure a permis de contrôler environ six millions de personnes et d'en empêcher 10 000 personnes d'entrer sur le territoire, a-t-il souligné.

« Ce soir, j'ai adjoint à ces 5000 policiers des forces complémentaires pour optimiser encore ce contrôle, compte tenu des informations que nous avons échangées avec Interpol », a-t-il annoncé.

À la suite de l'arrestation vendredi à Bruxelles de Salah Abdeslam, suspect-clé des attentats de Paris, Interpol a conseillé à ses 190 pays membres une vigilance accrue aux frontières, car des complices pourraient être tentés de fuir.

« Beaucoup de choses restent à faire » et « le niveau de menace, par delà ce réseau que nous sommes en train de démanteler, reste extrêmement élevé », a fait valoir le ministre français de l'Intérieur.

« Soyons prudents, et faisons en sorte que cette enquête puisse continuer à se déployer, par les auditions de Salah Abdeslam mais aussi par la poursuite de l'enquête concernant ceux qui doivent être encore interpellés », a-t-il ajouté.

Abdeslam aurait renoncé à se faire exploser au Stade de France

Salah Abdeslam, suspect clé des attentats du 13 novembre arrêté vendredi à Bruxelles, a affirmé aux enquêteurs belges qu'il «voulait se faire exploser au stade de France» le soir des attentats, avant de faire «machine arrière», a déclaré samedi le procureur de Paris.

«Ces premières déclarations, qu'il faut prendre avec précaution, laissent en suspens toute une série d'interrogations sur lesquelles Salah Abdeslam devra s'expliquer», a ajouté le procureur François Molins lors d'une conférence de presse

Il a évoqué «en particulier» la présence du djihadiste dans le 18e arrondissement (nord) de Paris le 13 novembre «dès 22 h, après avoir déposé le commando du Stade de France» avec une Clio noire, retrouvée quatre jours après les attentats dans cet arrondissement.

«Dans un communiqué diffusé immédiatement après les attentats, il était mentionné par Daech la commission d'un attentat dans le 18e arrondissement», a rappelé François Molins. «Les investigations devront donc s'attacher à déterminer sur ce point si une action kamikaze de Salah Abdeslam devait bien avoir lieu» dans cet arrondissement.

Le suspect, âgé de 26 ans, «apparaît, à ce stade des investigations, comme ayant eu un rôle central dans la constitution des commandos du 13 novembre, dans la préparation logistique des attentats et enfin en étant lui-même présent à Paris le 13 novembre», a ajouté le procureur.

Le djihadiste «a participé à l'arrivée d'un certain nombre de terroristes en Europe», a-t-il affirmé, soulignant notamment qu'il avait «multiplié les déplacements en Europe au moyen de locations successives de véhicules».

L'arrestation de Salah Abdeslam est une «avancée très forte» pour l'enquête, a estimé François Molins. «Les investigations se poursuivent sans relâche, en France et en Belgique», pour cerner «tous les acteurs» de ces attaques, qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés.

Le mandat d'arrêt européen lui a été notifié samedi «à 16 h 15 par un magistrat du parquet fédéral belge», a encore précisé le procureur de Paris. «Salah Abdeslam n'a pas consenti à sa remise aux autorités françaises», ce qui ne l'empêche en rien. Celle-ci interviendra dans un délai qui peut aller de «quelques jours à trois mois», a précisé M. Molins.

Un succès mais aussi des «ratés»

Si la capture de Salah Abdeslam à Bruxelles porte un «coup important» aux réseaux djihadistes en Europe, elle a également révélé les embûches et les «ratés» des services de renseignement pendant sa cavale de quatre mois.

«De Molenbeek à Molenbeek», titre samedi le quotidien belge Le Soir pour résumer l'itinéraire du seul survivant des commandos des attentats de Paris, arrêté vendredi dans la commune populaire de Bruxelles, à 500 mètres de sa maison familiale.

«Ce coup de filet spectaculaire permet à la Belgique de redorer son blason», se félicite le journal francophone, car «la réputation belge était tombée plus bas que terre et un Abdeslam en liberté était non seulement une menace permanente pour la sécurité quotidienne du pays, mais aussi un défi à ses autorités».

Pour beaucoup cependant, cette traque de plus de 120 jours trahit un aveu d'impuissance.

«Cette longue cavale n'est pas un grand succès pour les services de renseignement belges. Soit Salah Abdeslam était très malin, soit les services belges étaient nuls, ce qui est plus vraisemblable», a tempêté samedi le député français et ancien magistrat antiterroriste Alain Marsaud.

«Tout ce dossier était un énorme puzzle dont il a fallu mettre patiemment les pièces» en ordre, s'est défendu le procureur fédéral belge Frédéric Van Leeuw samedi sur la chaîne publique RTBF, évoquant une enquête «compliquée par la pression extérieure, d'abord au niveau politique français, ce que je comprends car il y a eu énormément de victimes».

Imprudence fatale

La trace de Salah Abdeslam s'était évanouie le 14 novembre vers 14 h à Schaerbeek, où des complices affirment l'y avoir déposé après son exfiltration de la région parisienne.

Les enquêteurs ont retrouvé ses empreintes en décembre dans un appartement de cette commune située non loin de Molenbeek.

D'autres empreintes digitales ont été retrouvées mardi dans une maison de Forest, autre commune de la capitale belge, visée par une perquisition qui a dégénéré en fusillade. Un Algérien de 35 ans, Mohamed Belkaïd, y a été tué par une équipe de police belgo-française, tandis que deux hommes prenaient la fuite.

De l'aveu même des autorités belges, les policiers menaient une opération de routine et ne s'attendaient pas à y trouver les djihadistes.

«Ce n'est pas par hasard qu'on est arrivé à Forest. Ce n'est pas n'importe quelle équipe qui s'y trouvait, c'étaient des policiers d'unités antiterroristes», a toutefois assuré le procureur Van Leeuw.

Il n'est pas confirmé que Salah Abdeslam était l'un des fuyards, mais les enquêteurs ont bénéficié d'une imprudence fatale: une surveillance téléphonique a permis d'intercepter un appel de l'ennemi public numéro un, «aux abois», à des proches à Molenbeek chez qui il a trouvé refuge, selon des sources policières.

Selon une autre source proche de l'enquête, la police a reçu un appel d'une personne disant avoir été contactée par quelqu'un se présentant comme Salah Abdeslam et réclamant une planque.

Mouvance difficile à infiltrer

Alors qu'on l'annonçait possiblement en Syrie ou aux Pays-Bas, l'ancien petit délinquant serait donc resté dans l'agglomération bruxelloise, en bénéficiant de ses réseaux à Molenbeek, devenu en quelques décennies un point d'ancrage du milieu djihadiste en Europe.

«On s'interroge, parce qu'il a évolué dans un périmètre assez restreint autour de Bruxelles. Se pose la question du quadrillage par la police belge de cette mouvance dans ces quartiers. Était-il suffisant? Disposaient-ils d'assez de contacts, d'informateurs? Ce n'est pas certain», s'interroge Louis Caprioli, ancien chef du contre-terrorisme français à la Direction de la sûreté du territoire (DST).

«Pour tenir en cavale pendant quatre mois, il a manifestement bénéficié de plusieurs réseaux de soutien. Il avait des amis issus du milieu criminel, d'autres du milieu de la radicalisation islamiste et puis ses amis d'enfance et de quartier», ajoute M. Caprioli. «C'est un gros travail: les services belges ne sont peut-être pas assez étoffés mais ils ont face à eux une population nombreuse, dont une partie est radicalisée, qui n'est pas facile à pénétrer», reconnaît-il.

«Molenbeek, c'est 95 000 habitants, et il y a une dizaine d'individus capables de faire ces choses-là», insiste le procureur fédéral belge.

«Boucler tout un quartier et passer chaque maison au peigne fin, je ne pense pas que ce soit compatible avec notre démocratie et nos valeurs», plaide M. Van Leeuw.

D'ailleurs, le défi est loin d'être surmonté. «Qu'on ne s'y méprenne pas», avertit le quotidien La Libre Belgique, «d'autres cellules sont à l'oeuvre en Belgique. Elles risquent de faire encore couler le sang».