Il était 13h30, le mercredi 18, lorsque le téléphone a sonné à la mosquée Dorval. En décrochant, Mehmet Deger a eu la désagréable surprise de recevoir des menaces anonymes.

«Ils m'ont dit qu'il m'arriverait quelque chose si j'accueillais des immigrants. Je n'ai pas dormi cette nuit-là», raconte le président de la mosquée, encore un peu ébranlé.

Ce n'est pas la première fois que le lieu de culte de la rue Neptune est ciblé de la sorte. En 2008 et 2009, l'endroit a été victime d'une demi-douzaine d'actes de vandalisme. Fenêtres brisées. Porte défoncée. Graffitis islamophobes.

Ces attaques n'étaient pas reliées à un événement d'actualité. Mais cette fois, oui. On en veut à M. Deger de vouloir parrainer des réfugiés syriens. «C'est pourtant une bonne cause, se désole-t-il. On essaie seulement d'aider.»

Selon le ministère de l'Immigration, la mosquée de Dorval serait l'une des deux seules mosquées du Québec à parrainer des réfugiés syriens. Une famille de deux adultes et trois enfants est arrivée de Turquie en octobre et a été relogée à Saint-Polycarpe. Quatre autres sont attendues en provenance de Jordanie et d'Égypte.

M. Deger ne sait pas quand elles arriveront. Six mois? Sept? Le processus suit son cours. Même si le changement de régime au fédéral a permis une accélération du processus, il trouve que la bureaucratie tourne au ralenti.

«C'est trop long. La famille qui vient d'arriver, ça a pris deux ans. À cause de tous ces contrôles. Contrôles médicaux. Contrôles de sécurité. Il y a tellement de méfiance... Mais ces gens ne sont pas des terroristes. Ce sont des gens qui ont tout perdu. Leur travail. Leur maison. Leur argent. Les gens qu'ils aimaient. La ville où ils habitaient. Tout a été détruit.»

Des frais énormes

À la question: pourquoi votre mosquée et pas d'autres? M. Deger hausse les épaules. «Discipline? Sens de l'organisation? Volonté? Il faut considérer chaque chose», dit-il en consultant ses dossiers de parrainage.

Il y a aussi les frais, qui sont énormes, ajoute-t-il. Pour les cinq familles qu'elle parraine, la mosquée Dorval a dû débourser dans les 100 000$. Ce sont des sommes que toutes les mosquées ne peuvent pas payer, suggère-t-il.

«Beaucoup dépensent la majorité de leur argent dans le chauffage, dit-il. Elles sont trop grosses.»

Pour financer son opération de parrainage, M. Deger a récolté des fonds auprès des membres de sa congrégation, qui est turque à la base, mais qui inclut des musulmans de 25 pays.

Dès le début de la guerre en Syrie, il a aussi mis de l'argent de côté, en prévision d'une telle éventualité - avec l'autorisation du gouvernement, tient-il à préciser.

«Une guerre, je sais que ça peut durer longtemps», dit-il.

M. Deger parle par expérience. De 1992 à 1995, sa mosquée a accueilli 33 familles bosniaques qui fuyaient la guerre en ex-Yougoslavie. Il en coûtait jadis 7000$ pour parrainer une seule personne, dit-il. Aujourd'hui, ce chiffre est passé à 12 000$ par individu et près de 23 000$ pour une famille de cinq.

Cet argent servira à absorber les coûts de l'immigration, incluant le logement meublé et fourni pour une période d'un an.

La mosquée doit aussi faciliter l'entrée de ses nouveaux arrivants sur le marché du travail. Tous auraient déjà un emploi, dans le secteur «manuel», précise le président.

Des manteaux, des livres, des jouets et du matériel scolaire ont aussi été donnés par la communauté. Ces objets sont actuellement dans le sous-sol de la mosquée, dans l'attente de leur nouvelle vie...

Cinq églises orthodoxes feront aussi du parrainage collectif pour des réfugiés syriens.