Ron Wayne n'en revenait pas. Chaque fois qu'il cherchait à se concentrer sur un problème dans son bureau d'Atari, à Palo Alto, un jeune technicien de 19 ans, fraîchement embauché par l'entreprise, faisait irruption.

Le «gamin» avait toujours une nouvelle question à poser sur les rouages d'une entreprise, sur la façon de se lancer en affaires. Il voulait aller dîner. Si le lunch n'était pas possible, il voulait aller souper.

«C'est comme ça que j'ai connu Steve Jobs: un jeune homme passionné qui, avant même d'avoir 20 ans, avait des idées de grandeur, explique M. Wayne. Il n'a jamais changé.»

Joint par La Presse hier, Ron Wayne a pris plaisir à parler de son vieil ami et partenaire avec qui il a lancé, en avril 1976, une société baptisée Apple Computer Inc.

«La mort de Steve est une tragédie, dit-il. L'industrie vient de perdre un génie. Je crois qu'il faudra des années avant que nous puissions comprendre à quel point sa contribution a été importante pour notre ère.»

La vie comme un jeu d'échecs

Ron Wayne avait 20 ans de plus que Steve Jobs. Au moment de leur rencontre, en 1974, Jobs semblait voir en lui un homme d'expérience avec qui il pouvait discuter et parler de ses ambitions.

«Quand il avait une idée en tête, il ne lâchait pas prise. Il n'avait pas encore l'âge et l'expérience pour se mettre en colère avec les gens autour de lui, mais ceux qui ne pensaient pas comme lui avaient intérêt à avoir de bons arguments. Pour lui, la vie était comme un jeu d'échecs.»

Avant d'entrer chez Atari comme ingénieur, Ron Wayne avait lancé une entreprise d'appareils de loterie vidéo. La société avait fait faillite, et M. Wayne avait mis des années à rembourser ses investisseurs. L'expérience fascinait Steve Jobs.

«Un jour, Steve est entré dans mon bureau et m'a dit: "Ron, je peux trouver 50 000dollars, pourquoi on ne lance pas une entreprise d'appareils de loterie vidéo? " J'ai ri et je lui ai répondu: "C'est la meilleure façon de voir tes 50 000$ partir en fumée."»

Peu après, Jobs s'est mis en tête de convaincre son ami Steve Wozniak de mettre en marché le circuit informatique que ce dernier avait créé dans ses temps libres. Wozniak ne voulait rien entendre. Steve Jobs s'est alors tourné vers Ron Wayne.

«Il voulait que je fasse le diplomate. J'ai réussi à convaincre Wozniak, et j'ai rédigé le contrat de partenariat. Ils avaient chacun 45% des parts, et moi 10%.»

M. Wayne a dessiné le logo original d'Apple, qui montre une pomme sur le point de tomber sur la tête d'Isaac Newton, adossé contre un arbre. Il a rédigé le premier manuel d'instruction d'Apple et le premier certificat de la société.

Or, Ron Wayne n'a pas profité de la croissance phénoménale de l'entreprise. Douze jours après la signature du contrat, ne voyant pas le rôle qu'il pourrait jouer au sein d'Apple, il est revenu sur sa décision et a vendu ses parts, pour 2300$. Une décision qu'il dit ne pas regretter, même si ses actions vaudraient aujourd'hui 35 milliards de dollars.

«Je n'y pense pas. Ce qui est fait est fait, on ne peut rien changer, alors à quoi bon?»

Aujourd'hui âgé de 77 ans, M. Wayne habite avec sa femme dans une petite ville du Nevada. Il avait gardé contact avec Steve Jobs et l'avait visité en Californie, il y a quelques années.

«Steve Jobs est mort trop jeune, laisse-t-il tomber. Le destin est une chose parfois cruelle. Cet homme est parti de rien et a changé le monde. J'ai une admiration sans bornes pour lui.»