À contre-pied du Québec, où le gouvernement projette d'introduire en 2011 un bulletin scolaire universel et chiffré, la France s'interroge sur l'opportunité d'en finir carrément avec les notes au primaire, voire au cycle suivant.

Le débat est alimenté par l'Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV), qui a lancé en septembre une pétition réclamant une révision en profondeur des pratiques d'évaluation scolaire.

L'organisation, qui vient en aide aux enfants de milieux défavorisés, pense que la «culture de la note» est trop présente dans le système scolaire français et met, dès le primaire, une forte pression sur les élèves, au risque de les enfermer progressivement dans une «spirale d'échec».

«La notation génère du mal-être», répète Eunice Mangano, déléguée nationale de l'organisation. Elle se fonde sur des études qui démontrent que, en France, 4 élèves sur 10 sortent du primaire avec de graves lacunes en lecture, en écriture et en calcul.

«Pour favoriser l'acquisition des savoirs fondamentaux, l'école élémentaire gagnerait à s'appuyer sur une autre logique que celle de la compétition», relève l'AFEV, qui cite l'exemple de la Finlande, où les enfants reçoivent leurs premières notes à 11 ans.

Des notes qui stigmatisent?

La démarche de l'organisation a reçu il y a quelques semaines l'appui de plusieurs chercheurs français de renom. Elle est aussi appuyée par plusieurs syndicats, dont SE-UNSA, l'un des principaux regroupements d'enseignants.

Son secrétaire général, Christian Chevalier, estime que les notes stigmatisent inutilement les élèves et sont trop «subjectives».

«Derrière, il y a un classement implicite et explicite qui s'établit», déplore le syndicaliste, qui imerait voir les notes introduites seulement vers la fin du collège, avant le passage au lycée, soit l'équivalent du milieu du secondaire au Québec.

Le ministère de l'Éducation nationale a introduit en 2005, sans l'imposer, un «livret de compétences» dans lequel les enseignants sont appelés à préciser si l'élève a acquis, n'a pas acquis ou st en voie d'acquérir les compétences au programme.

Mais le modèle, d'abord utilisé au primaire et maintenant élargi aux premières années de collège, se heurte à de la résistance, souligne M. Chevalier. «Parfois les deux dispositifs d'évaluation livret de compétences et notes sont utilisés en parallèle», dit-il.

Vers une double évaluation

Le ministre de l'Éducation, Luc Chatel, a récemment indiqué qu'il n'était pas question d'en finir avec les notes. «La note est utile pour avoir des repères, mesurer les élèves», a souligné le politicien, qui se félicite de voir le réseau scolaire évoluer vers un système de «double évaluation».

SOS Éducation, une association qui regroupe des parents et des enseignants, pense que la disparition des notes, au primaire ou plus tard encore, serait «extrêmement dangereuse».

«Il est très important dans un système qui vise à assurer la progression des élèves d'avoir une notion précise de leur situation, de savoir où ils se trouvent pour pouvoir intervenir. Plus on accentue l'opacité, plus on risque de renforcer les problèmes», souligne la porte-parole de l'organisation, Olivia Millioz.

Les opposants aux notes exagèrent, selon elle, l'impact des notes sur les enfants. «C'est faux de dire que le système est très dur, très élitiste au primaire», dit-elle.

Auteur d'un livre sur le système scolaire intitulé La fabrique du crétin, le professeur de lettres Jean-Paul Brighelli a récemment fait remarquer dans son blogue que l'appel à la suppression des notes survient alors «que les pays qui sont allés le plus loin dans la dulcification du processus pédagogique» font aujourd'hui machine arrière. «Mais en France, nous sommes plus intelligents: nous suivons ce que les autres actuellement rejettent», ironise l'auteur.

Selon Nathalie Mons, sociologue spécialiste des politiques éducatives, «on observe, dans les pays qui furent les plus progressistes, un retour aux notes ou de fortes pressions dans ce sens appuyées par des partis situés clairement à droite des échiquiers politiques».

Elle cite le cas de la Suède, qui vient de décider d'avancer l'introduction des notes dans le processus d'évaluation des élèves à l'issue d'un large débat.

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Résultats en recul



La 4e étude Pisa dévoilée hier par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) place la France dans la moyenne des pays évalués en matière de performance scolaire. Les élèves hexagonaux ont reculé de la 17e à la 22e place en lecture sur 65 pays participants. Des reculs similaires ont été enregistrés en mathématiques et en sciences. Le ministre de l'Éducation, Luc Chatel, a déclaré que les résultats étaient plutôt stables. Le Parti socialiste a fustigé de son côté la performance des élèves français comme une illustration du «marasme éducatif dans lequel la droite plonge l'école depuis 10 ans».