Les participants aux émissions de téléréalité - qu'ils chantent, dansent ou se prélassent sur une île paradisiaque en compagnie de jeunes hédonistes peu vêtus - exercent un travail en bonne et due forme et sont susceptibles de bénéficier à ce titre des privilèges prévus dans la loi, comme les heures supplémentaires ou les indemnités de départ.

Telle est du moins la conclusion de la Cour de cassation française dans une décision qui met en émoi la communauté audiovisuelle.

Le plus haut tribunal administratif du pays a donné raison à trois ex-participants de L'île de la tentation, populaire émission d'inspiration américaine de la chaîne privée TF1 dans laquelle des couples soumettent leur amour pendant plusieurs jours aux tentations de la chair.

«C'est la fin de la téléréalité illicite», a commenté à l'annonce du verdict Jérémie Assous, un jeune avocat parisien qui représente aujourd'hui plus d'une centaine d'anciens participants de diverses émissions de même acabit.

Les participants de L'île de la tentation ne recevaient, en contrepartie de leurs efforts, qu'une somme de quelques milliers de dollars censée constituer une «avance» sur d'éventuels profits découlant de produits dérivés.

Le stratagème visait en fait à cacher le fait qu'il s'agissait d'un véritable «travail» comportant une rémunération ainsi qu'un lien de subordination avec une entreprise, a démontré Me Assous, en insistant longuement sur les contraintes auxquelles étaient soumis les participants.

Il n'était pas question notamment pour eux de quitter le lieu de tournage ou de communiquer avec des gens de l'extérieur. Ils devaient de plus se conformer à une longue liste de règles et reprendre des scènes jugées insatisfaisantes, déployant du coup une véritable «activité d'acteur».

TF1, qui devra verser plusieurs milliers d'euros de compensation aux requérants, avait tenté en vain de convaincre le tribunal que les participants de L'île de la tentation ne cherchaient pas à toucher un salaire mais bien à «vivre une expérience personnelle».

«Être simplement soi-même, donner libre cours à ses désirs, à ses fantasmes, ce n'est pas travailler», avaient argué ses représentants.

Bien que la chaîne privée ait réussi à faire réviser à la baisse les sommes à verser aux clients de Jérémie Assous, elle dit craindre aujourd'hui un «bouleversement de la production audiovisuelle française».

Dans une entrevue au quotidien Le Monde, le directeur général de TF1 production, Édouard Boclon-Gibod, affirme que la décision dépasse largement le cadre de L'île de la tentation et risque de toucher toutes les productions «qui utilisent des candidats selon des règles précises d'organisation».

Une émission comme Loft Story - qui a véritablement lancé le concept de téléréalité - devient difficile à envisager s'il est obligatoire de limiter le temps de «travail» quotidien des participants et de leur donner une journée hebdomadaire de repos, souligne un producteur.

Les chroniqueurs médias français se régalent du verdict du tribunal, imaginant les scénarios les plus cocasses aux prochaines séances de tournage.

Libération évoque le cas hypothétique de Samantha, qui se «déhanche lors d'une soirée mousse» sous l'oeil des caméras avant de couper court à l'exercice parce qu'elle pense avoir fait assez d'heures dans la journée. Ou un autre candidat convoqué par le directeur des ressources humaines pour un entretien préalable au licenciement après avoir été exclu d'une émission par les téléspectateurs.