Bernard-Henri Lévy se définit lui-même parfois comme un «pessimiste joyeux». En tout cas pas défaitiste : ce n'est pas parce que les choses vont mal - ou tournent au tragique - qu'il faut cesser de se battre pour les améliorer ou pour éviter le pire. À la veille de sa participation à la conférence de La série 357 à Montréal, le penseur et journaliste français, communément appelé BHL, a, au cours d'une entrevue téléphonique depuis Marrakech, où il séjourne fréquemment, trouvé au moins une vertu à la crise financière actuelle : «Elle a donné un formidable coup d'accélérateur à l'Union européenne, qui était menacée de désintégration.»

Bernard-Henri Lévy se définit lui-même parfois comme un «pessimiste joyeux». En tout cas pas défaitiste : ce n'est pas parce que les choses vont mal - ou tournent au tragique - qu'il faut cesser de se battre pour les améliorer ou pour éviter le pire. À la veille de sa participation à la conférence de La série 357 à Montréal, le penseur et journaliste français, communément appelé BHL, a, au cours d'une entrevue téléphonique depuis Marrakech, où il séjourne fréquemment, trouvé au moins une vertu à la crise financière actuelle : «Elle a donné un formidable coup d'accélérateur à l'Union européenne, qui était menacée de désintégration.»

Q Vous estimez que pour une fois, l'Union européenne s'est bien comportée, c'est-à-dire qu'elle a parlé d'une seule voix et a pris des initiatives majeures au plus fort de la crise financière?



R Je crois en effet que l'existence et l'action de l'Europe ont été l'une des raisons - pas la seule - pour lesquelles nous avons évité une dépression comparable à celle de 1929. Entre l'Europe et les États-Unis, de savoir qui a joué un rôle moteur et à quel moment, c'est une autre affaire. Mais en la circonstance, l'Europe des 27 a montré qu'elle existait, même si, bien entendu, l'entente n'est pas parfaite entre les grands pays. Même si ce n'est pas encore UN pays, et qu'elle n'a donc pas la force de frappe des États-Unis. Mais c'est un progrès formidable, d'autant plus étonnant qu'on en doit en grande partie le mérite à Gordon Brown, qui ne passait pas a priori pour le plus européen à cette réunion des dirigeants à Paris. Je rappelle qu'avant cette crise, l'Europe était en train de se désagréger réellement. Il y avait eu les votes négatifs sur le traité constitutionnel. Les replis nationalistes. Le syndrome du plombier polonais, c'est-à-dire une xénophobie galopante dans les pays les plus prospères. Indéniablement, l'Europe vient de rebondir de manière spectaculaire.

Q Au fond, peut-être a-t-il été toujours plus facile de faire des progrès en direction de l'Europe économique et de son intégration plutôt que vers l'unification politique. C'est-à-dire un vrai gouvernement européen, «l'Europe puissance» dont on parle souvent sans jamais rien voir venir.

R Je ne suis pas d'accord: l'Europe économique était difficile à faire. Il a fallu de fortes personnalités comme Jacques Delors, Helmut Kohl, Dominique Strauss-Kahn pour faire avancer les choses et déplacer des montagnes. La création de l'euro, c'est une véritable révolution culturelle, bien avant que financière. Un choc symbolique et narcissique - il suffit de penser au franc français ou au deutschmark pour l'Allemagne. Un choc que les peuples ont étonnamment bien accepté. Alors que la monnaie est un attribut majeur de la souveraineté nationale. Je ne crois donc pas qu'on n'a fait que le plus facile.

Q En politique étrangère, les guerres en ex-Yougoslavie avaient mis en lumière les divisions et l'impuissance de l'Europe. Est-ce qu'on n'a pas assisté à la même impuissance européenne lors de l'invasion de la Géorgie par les troupes russes?

R Vous avez raison : l'Europe s'est mal conduite, pour ne pas dire plus, vis-à-vis de la Géorgie. C'est vrai que l'on constatera sans doute qu'il y a eu un avant et un après-crise financière. Le drame de la Géorgie, c'est que la crise soit survenue avant. Cela dit, l'Europe ne s'est pas grandie. Elle a retrouvé les vieux réflexes de la Guerre froide et de Yalta, même si certains pays comme la Pologne, la République tchèque et les pays baltes n'étaient pas du tout sur cette ligne. Les grands pays européens (de l'Ouest) ont fait mine de ne pas comprendre quels étaient les véritables desseins de Poutine, et donné en quelque sorte leur aval à ce qui se passait. Lorsque Nicolas Sarkozy - pas encore président en exercice de l'Union - déclarait trouver normal que la Russie se porte en renfort des russophones minoritaires en Ukraine ou dans les pays baltes, je trouve que ce sont des mots terribles. Qui nous ramènent 70 ans en arrière, à propos des minorités germanophones... même si les situations ne se comparent évidemment pas.

Q Beaucoup de dirigeants européens - allemands entre autres - pensent d'une part que le régime russe actuel, avec son autoritarisme, constitue un passage obligé sur la voie de la démocratisation de la Russie, un pays qui n'a connu que la dictature dans son histoire. Ils disent également que c'est une grande puissance qu'il faut traiter avec un certain respect.

R Certains naïfs - ou très cyniques - considèrent qu'avec Poutine ils ont affaire à un chef d'État «normal» à la tête d'un pays en route vers une démocratie exemplaire. Or, Poutine est quelqu'un qui a déclaré que l'effondrement de l'URSS - terrible ensemble totalitaire - a été «l'une des plus grandes catastrophes géopolitiques du XXe siècle». Les dirigeants russes, il faut le voir, n'ont pas accepté le nouvel ordre né des événements de 1989 en Europe de l'Est. Et Poutine est un dirigeant avec qui il faut traiter - mais avec une très longue cuillère. Je ne crois pas que le régime poutino-mafieux actuel soit même une semi-démocratie. Ce n'est pas une démocratie du tout. J'ai le plus grand respect pour la population et la culture russes. Mais le plus grand mépris pour un régime qui tolère des ratonnades contre les basanés et les non-Russes dans les rues de Moscou. Un régime qui se vante d'avoir rasé Grozny. Un régime qui prospère sur une démographie de type tiers-mondiste, sur une économie basée à 70% sur le gaz et le pétrole, sur des oligarques qui monopolisent le pouvoir. Il est possible qu'une raison obscure de l'histoire mène par des voies aussi tortueuses à la démocratisation de ce pays. Mais ce n'est ni de près ni de loin dans les intentions de ces Poutine, Medvedev et autres oligarques.