Je venais d'envoyer mon texte à La Presse sur l'arrêt Bush contre Gore: par cinq votes contre quatre, la Cour suprême des États-Unis avait attribué la présidence à George W. Bush et mis fin au dépouillement des votes en Floride.

«Jamais je ne couvrirai une plus grosse histoire», m'étais-je dit en pensant à l'imbroglio de 36 jours qui avait suivi le scrutin du 7 novembre 2000.

 

Je m'étais fait la même réflexion en décembre 1998 après l'impeachment de Bill Clinton, et j'allais faire de même après les attentats terroristes du 11 septembre. Je ne suis pas certain que la course à la Maison-Blanche de 2008 constitue une plus grosse histoire que la destruction du World Trade Center, mais elle éclipse toutes les campagnes présidentielles que j'ai suivies comme journaliste.

Le doyen des chroniqueurs politiques à Washington, David Broder, émet aujourd'hui la même opinion en y ajoutant le poids des années. «Pendant des décennies, j'ai dit que la campagne Kennedy-Nixon de 1960 avait été la meilleure campagne à laquelle j'avais assisté. Mais la majeure partie du drame était survenue après le congé de la fête du Travail. Cette fois-ci, la fièvre s'est répandue généreusement tout au long de l'année», a écrit Broder, qui croit que la course à la Maison-Blanche de 2008 est la «meilleure campagne» qu'il ait jamais couverte.

Il y a un an, peu d'observateurs osaient prédire que les noms de Barack Obama et John McCain figureraient sur les bulletins de vote. Les sondages nationaux plaçaient le candidat républicain derrière Rudolph Giuliani et Mitt Romney. Ses positions sur l'Irak et l'immigration semblaient lui avoir mis à dos la base républicaine. Sans compter que son équipe de campagne avait été réduite au strict minimum après une réorganisation majeure durant l'été.

Son rival éventuel devait pour sa part convaincre ses donateurs qu'il était assez coriace pour affronter Hillary Clinton, la grande meneuse dans les sondages. Jusque-là, la sénatrice de New York avait eu le dessus dans les débats télévisés, et elle faisait preuve d'une assurance et d'une maîtrise des dossiers qui semblaient faire défaut à son rival de l'Illinois.

Enthousiasme

Mais il se passait quelque chose dans l'Iowa qui allait devenir incontournable le 8 décembre 2007. Ce jour-là, à 11 mois de l'élection présidentielle, plus de 18 000 personnes s'étaient déplacées au centre des congrès de Des Moines, capitale de cet État du Midwest, pour entendre Barack Obama et Oprah Winfrey, qui allait pour la première fois appuyer publiquement un candidat à la présidence.

Au-delà de la présence de la reine de la télévision, il y avait ce jour-là dans la foule un enthousiasme qui n'allait pas se démentir. Le 2 janvier, à la veille des caucus de l'Iowa, j'avais été frappé par le contraste entre les rassemblements de Barack Obama et d'Hillary Clinton.

Le sénateur de l'Illinois n'avait pas seulement attiré une foule 10 fois plus nombreuse que sa rivale. Il avait également électrisé son auditoire.

«Je n'ai rien vu de tel depuis Robert Kennedy», disaient les plus vieux.

Le rendez-vous électoral suivant, celui du New Hampshire, avait permis à Hillary Clinton et John McCain de relancer leur campagne respective. Même si la victoire du candidat républicain constituait un revirement spectaculaire, elle allait être éclipsée par celle de la sénatrice de New York, qui avait ravalé à la veille du scrutin une larme dont l'impact allait faire l'objet de moult commentaires.

Il allait en être ainsi pour John McCain jusqu'à la fin de la saison des primaires. Ses victoires allaient être éclipsées par le combat historique que se sont livré les deux candidats démocrates. Cette course entre une femme et un Noir aura fourni les moments les plus intenses de cette année électorale hors du commun.

John McCain a certes réussi à chambouler la campagne présidentielle en choisissant Sarah Palin comme colistière. On se souviendra du discours de la gouverneure de l'Alaska sur la scène de la convention républicaine de Saint-Paul. Ce soir-là, c'était au tour des républicains d'être transportés par l'éloquence d'un candidat.

Mais le choix de Sarah Palin finira peut-être par être considéré comme une des erreurs majeures de John McCain. À deux jours du scrutin, Barack Obama semble en bonne position pour achever son parcours historique. Qu'il gagne ou qu'il perde, il aura été l'acteur majeur de la mère de toutes les campagnes présidentielles.