Les Taïwanais votaient samedi lors d'un scrutin qui devrait donner sa première femme présidente à l'île et voir Taipei tourner le dos à des années de rapprochement avec la Chine.

Le Kuomintang (KMT), qui met en oeuvre depuis huit ans une politique inédite de réchauffement avec Pékin sous l'égide de Ma Jing-jeou, devrait céder la présidence à Tsai Ing-wen, une ancienne universitaire de 59 ans.

Mme Tsai dirige la principale formation d'opposition, le Parti démocratique progressiste (PDP), beaucoup plus méfiant envers la Chine. Elle devrait bénéficier du malaise suscité par les relations bilatérales et de la frustration d'une partie des 18 millions d'électeurs face à la stagnation économique.

Dans les sondages, elle est créditée de 40% des intentions de vote, soit le double de ce que pourrait obtenir le candidat présenté par le KMT, Eric Chu, 54 ans, maire du Nouveau Taipei.

Le dégel des relations avec Pékin avait culminé fin novembre sur un sommet historique, le premier depuis la violente séparation de la Chine continentale et de l'île de Taïwan il y a plus de 60 ans.

«Je suis très fier d'avoir le droit de jouer un rôle dans la prise de décision pour notre avenir», a dit Sean Chen, 31 ans, qui travaille dans la finance. «C'est l'occasion de dire au monde ce qu'on pense vraiment».

Si le dégel a permis la signature d'accords commerciaux ainsi qu'un boom touristique à Taïwan, bon nombre d'habitants craignent qu'en étant devenu dépendant économiquement de Pékin, l'île n'y ait perdu de son identité et de sa souveraineté.

Beaucoup estiment aussi être les laissés pour compte d'une politique qui n'a profité qu'aux grandes entreprises.

«Taïwan a besoin de changement, économique et politique», explique un électeur de 65 ans qui se présente sous le nom de Lee. «Le gouvernement s'est trop appuyé sur la Chine, c'est nuisible à notre démocratie».

Le territoire vit sa propre destinée depuis 1949, date à laquelle les nationalistes du KMT s'y sont réfugiés après avoir été vaincus par les communistes. Après la mort de Chiang Kai-shek en 1975, Taïwan a emprunté peu à peu la voie de la démocratie.

La Chine considère toujours Taïwan comme une partie intégrante de son territoire qu'elle peut reprendre par la force le cas échéant.

Mise en garde de Pékin

Certains électeurs ont peur pour la suite. «Je crains que Tsai Ing-wen ne soit élue», dit Yang Chin-chun, un commerçant de 78 ans du Nouveau Taipei, bastion du KMT. «Vous connaissez ses positions sur les relations bilatérales. Si elle n'arrive pas à gérer la situation et que c'est l'escalade des tensions, personne ne sera gagnant».

Mme Tsai explique que Taipei doit tourner le dos à la dépendance économique envers Pékin et qu'elle écoutera l'opinion publique en ce qui concerne les relations bilatérales.

Signe de son pragmatisme, elle a pris soin de souligner que le «statu quo» serait maintenu, mettant beaucoup d'eau dans le vin du discours traditionnellement indépendantiste du PDP.

Un consensus tacite conclu en 1992 entre Pékin et Taipei veut qu'il n'y ait qu'«une seule Chine» et laisse à chaque partie le loisir d'interpréter cela comme elle l'entend.

Il s'agit de tranquilliser Pékin mais aussi les États-Unis, principal allié de Taipei, qui craignent pour la stabilité de la région.

Mme Tsai sait que la grande majorité des électeurs veulent aussi la paix alors que le PDP n'a jamais reconnu ce consensus.

La Chine a d'ores et déjà averti qu'elle ne traiterait pas avec un dirigeant qui ne reconnaîtrait pas que Taïwan fait partie d'«une seule Chine».

La plupart des experts estiment inévitable une certaine dégradation des relations entre les deux frères ennemis.

Un outsider conservateur est également en compétition : James Soong, 72 ans, issu des rangs du KMT et président d'un mouvement favorable à Pékin, le Parti du peuple d'abord.

Si Mme Tsai l'emportait, elle offrirait à son parti sa deuxième présidence depuis les deux mandats de Chen Shui-bian (2000-2008).

Le PDP espère bien aussi surfer sur l'insatisfaction des Taïwanais face à leurs conditions de vie pour en outre remporter, et pour la première fois, la majorité des 113 sièges au Parlement monocaméral aux législatives qui se déroulent le même jour.

Les bureaux de vote, qui ont ouvert à  8 h (19 h, heure de l'Est), fermeront à 16 h. Les résultats sont attendus dans la soirée.