Loué pour son intégrité, il était surnommé le «Monsieur Propre» de l'Inde. Mais le Premier ministre, Manmohan Singh, est aujourd'hui acculé à lutter pour sa survie politique en raison d'une campagne anticorruption menée par un militant populiste de 74 ans.

Après être resté muet au cours des manifestations sans précédent cette semaine à New Delhi et dans plusieurs villes du pays à la suite de l'arrestation du militant Anna Hazare, M. Singh a lancé samedi un signal d'ouverture destiné à reprendre le contrôle de la situation.

«Nous sommes ouverts à la discussion, au dialogue, nous voudrions qu'émerge un large consensus national», a-t-il déclaré à des journalistes.

«Nous devons travailler ensemble pour faire avancer le texte, pour qu'il soit fort et efficace et que, quels que soient les obstacles, nous puissions les supprimer», a-t-il ajouté, reconnaissant toutefois que les procédures parlementaires prenaient du temps.

Anna Hazare a entamé vendredi une grève de la faim de 15 jours pour faire pression sur le gouvernement concernant un texte créant un poste de médiateur de la République censé surveiller les hommes politiques et les fonctionnaires du gouvernement.

Le militant exige que le médiateur puisse aussi enquêter sur le Premier ministre et des magistrats de hauts rangs.

Selon les observateurs, la crédibilité du Premier ministre, nommé à ce poste en 2004 grâce à sa réputation sans tâche de «Monsieur Propre», a été sérieusement écornée avec l'affaire Hazare.

«En décidant d'arrêter Anna Hazare, puis de le relâcher, il a totalement mal senti l'humeur publique», estime Zoya Hassan, professeur de sciences politiques à l'université Jawaharlal Nehru.

Il a tenté, en vain, de mettre un frein au mouvement populaire en brandissant les institutions de la plus grande démocratie du monde, rappelant que le parlement avait «la prérogative exclusive» de la législation et que de ce fait, la campagne anticorruption en cours était «totalement infondée».

Mais son image est, depuis plusieurs mois déjà, ternie par de retentissants scandales impliquant plusieurs hauts responsables du gouvernement.

Manmohan Singh a maintes fois répété son engagement en faveur de la lutte contre la corruption, mais les analystes estiment qu'il a en réalité peu agi pour accomplir ses promesses et que son discours devient inaudible.

Un récent éditorial du quotidien Hindustan Times le mettait en garde: «Plus personne n'a envie d'écouter (...) L'heure tourne et on peut seulement espérer qu'il n'est pas trop tard».

Les critiques ne mettent pas en cause sa probité personnelle, mais elles l'accusent d'avoir fermé les yeux, notamment pour des raisons d'opportunisme politique, sur des membres de son gouvernement ne jouissant pas de la même réputation de droiture.

Parsa Venkateshwar Rao, analyste politique et éditorialiste pour le quotidien DNA, estime qu'il «ne prend tout simplement pas la corruption assez au sérieux. Il croit que le gouvernement a des priorités plus importantes, comme les réformes économiques et les programmes sociaux».

«Il a toujours été d'une présence discrète, ce qui le rend aujourd'hui inefficace face à un public qui a besoin de le voir parler haut et fort en cette période de confusion et de crise. Il n'inspire plus leur confiance», décrypte cet expert.

Voici quelques mois, le ministre de l'Intérieur P. Chidambaram a reconnu que le public attendait de Manmohan Singh qu'il s'exprime davantage.

«Beaucoup de gens voudraient que le Premier ministre s'engage davantage dans son rôle et s'exprime plus. Mais c'est sa personnalité», a-t-il expliqué.

Signe des doutes croissants sur sa capacité à se maintenir au pouvoir, un sondage publié ce mois-ci par un institut de recherche révélait que le premier choix des Indiens pour le poste de Premier ministre était Rahul Gandhi, le fils de la dirigeante du parti du Congrès à la tête de la coalition gouvernementale.