Le président vénézuélien Nicolas Maduro a pour la première fois été ouvertement critiqué par son propre camp, un haut responsable dénonçant une «rupture de l'ordre constitutionnel» dans le pays après la mainmise de la Cour suprême sur le Parlement.

Les critiques pleuvent depuis jeudi sur le Venezuela, où la plus haute juridiction, proche du gouvernement, s'est arrogée le pouvoir d'édicter des lois du Parlement, bastion de l'opposition.

Cette mesure traduit une nouvelle escalade dans la crise politique qui agite ce pays pétrolier depuis la large victoire des antichavistes (du nom de l'ancien président Hugo Chavez, 1999-2013) aux législatives de fin 2015.

Exécutif, armée, justice et législatif: le régime présidentiel vénézuélien concentre à présent tous les pouvoirs.

Vendredi, Luisa Ortega, chef du parquet au niveau national et considérée comme affiliée au président Maduro, est sortie du rang.

«Dans ces décisions (de la Cour suprême), on peut constater des violations de l'ordre constitutionnel et une méconnaissance du modèle d'État consacré par notre Constitution (...) ce qui constitue une rupture de l'ordre constitutionnel», a-t-elle lâché au cours d'un discours retransmis en direct par la télévision d'État.

«Il est de mon devoir de manifester face au pays ma grande inquiétude», a-t-elle ajouté en brandissant la Constitution.

Ces déclarations ont été ponctuées par des applaudissements dans la salle et ont visiblement surpris les journalistes de la chaîne, qui suit la ligne du pouvoir.

«Cela représente une fissure, voire une cassure de la structure interne du pouvoir chaviste», a commenté à l'AFP le politologue Luis Salamanca.

«C'est le moment d'obéir aux ordres de votre conscience», a lancé aux responsables des institutions, dont l'armée, le président du Parlement Julio Borges.

Le gouvernement, sous le feu des critiques internationales, a rejeté les accusations de «coup d'État» qui se multiplient et préféré parler de «correctifs légaux».

La décision de la Cour suprême vise, selon le ministère des Affaires étrangères, à «mettre un terme à l'attitude putschiste des parlementaires de l'opposition».

Le ministère a qualifié la série de condamnations étrangères de «torrent des gouvernements de la droite intolérante et pro-impérialiste (...) dirigée par le département d'État et les centres de pouvoir américains».

«Pilier de la démocratie»

Les États-Unis, l'Union européenne, les Nations unies et une dizaine de pays latino-américains ont rejeté jeudi «la rupture de l'ordre constitutionnel» au Venezuela.

La Colombie, le Pérou et le Chili ont rappelé leur ambassadeur à Caracas. Une réunion d'urgence a été convoquée par le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) et une autre par l'Organisation des États américains (OEA) en début de semaine prochaine.

Le président colombien Juan Manuel Santos, à la tête du pays voisin du Venezuela avec lequel les tensions se sont multipliées récemment, a jugé la décision de la Cour suprême «inacceptable». Cela revient à «détruire le pilier le plus important» de la démocratie, a ajouté le prix Nobel de la Paix 2016.

Dans les rues de Caracas, quelques manifestations de taille réduite ont réuni quelques dizaines de personnes, a constaté l'AFP. Sur l'une des pancartes, on pouvait lire «Non à la dictature!». Des affrontements ont aussi opposé des étudiants à la police un peu plus tôt. Deux étudiants et un journaliste ont été arrêtés, selon une ONG.

L'opposition a appelé à manifester samedi dans les rues de la capitale, tandis que le chef de l'État restait silencieux.

Depuis leurs victoires aux législatives, les antichavistes veulent pousser Maduro vers la sortie et exigent une élection présidentielle anticipée avant celle prévue en décembre 2018.

Depuis janvier 2016, la Cour suprême a déclaré nuls tous les votes de l'Assemblée nationale, en réaction à l'investiture de trois députés de l'opposition antichaviste dont l'élection était entachée de soupçons. Elle n'a cessé depuis de rogner le pouvoir des législateurs.

Avant la mesure de jeudi, la Cour avait déjà privé mardi les députés de leur immunité, les exposant à de possibles procès pour haute trahison devant des instances militaires.

Outre la crise politique en cours, le Venezuela, qui a connu trois coups d'État manqués depuis 1992, est frappé par une pénurie qui concerne 68% des produits de base et l'inflation y est devenue incontrôlable (1,660% fin 2017, prédit le FMI).

photo AFP

Luisa Ortega, chef du parquet au niveau national