Tout indique que le Burundi deviendra le premier pays du monde à se retirer de la Cour pénale internationale (CPI), qu'il accuse d'être à la solde des grandes puissances.

Le président burundais Pierre Nkurunziza a promulgué la semaine dernière la loi adoptée par l'Assemblée nationale et le Sénat portant sur le retrait de Bujumbura du Statut de Rome, qui a donné naissance à la CPI en 1998. Il ne manque plus que la notification officielle au secrétaire général des Nations unies. 

L'annonce de ce retrait survient après que la CPI a entamé le printemps dernier un examen préliminaire « sur des actes de meurtre, d'emprisonnement, de torture, de viol et d'autres formes de violences sexuelles ainsi que sur des cas de disparitions forcées survenus au Burundi depuis avril 2015 », lorsque la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat a été annoncée. 

« C'est le propre des gouvernements autoritaires de se retirer des systèmes, surtout internationaux, qui les critiquent. » - Fannie Lafontaine, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux de l'Université Laval

La CPI n'est d'ailleurs pas la seule organisation à avoir subi les foudres de Bujumbura, qui a déclaré au début du mois persona non grata les enquêteurs du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, auteurs d'un rapport accusant le régime burundais d'être responsable de violations des droits de la personne. 

« Il y a des dynamiques de politique interne qui expliquent les choses », explique Fannie Lafontaine.

L'analyse porte également sur l'Afrique du Sud, qui a été critiquée pour ne pas avoir procédé à l'arrestation du président soudanais Omar el-Béchir, lors de son passage à Johannesburg l'an dernier, alors qu'il est accusé par la CPI de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité relativement à la guerre du Darfour.

Enfin, en Gambie, l'opposition voit dans l'annonce du retrait une manoeuvre destinée à protéger le gouvernement du dictateur Yahya Jammeh, qui dirige le pays d'une main de fer depuis 1994, en cas de défaite à la présidentielle du 1er décembre prochain.

UN « COUP DUR » QUI IMPOSE UNE RÉFLEXION

Ces retraits annoncés sont « un coup dur pour la CPI, sans aucun doute », reconnaît Fannie Lafontaine, qui ne s'attend toutefois pas à ce que le mouvement soit suivi par un grand nombre de pays. 

La Cour doit cependant saisir l'occasion pour faire une « réflexion » sur les perceptions à son égard, elle qui a souvent été accusée depuis plusieurs années de s'acharner sur l'Afrique et ses dirigeants, souligne Mme Lafontaine, selon qui ces perceptions sont erronées.

« La plupart des situations devant la CPI qui viennent de l'Afrique ont été référées par les États eux-mêmes. » - Fannie Lafontaine, de l'Université Laval

La juriste rappelle par ailleurs que la CPI est « fortement » africaine, avec un président sénégalais et une procureure générale gambienne, et qu'elle se penche également sur les allégations d'exactions commises par des soldats britanniques en Irak, sur la Colombie ou sur les Philippines.

« Reste qu'il y a beaucoup de conflits en Afrique » et que 34 des 54 pays du continent adhèrent au traité de Rome, ce qui n'est pas le cas de la Syrie, des États-Unis, de la Russie ou la Chine, où la CPI n'a donc pas compétence, explique Fannie Lafontaine. 

MOINS DE JUSTICE

Même si le retrait d'un pays n'entre en vigueur qu'un an après sa notification officielle au secrétaire général des Nations unies et que les enquêtes amorcées avant ce retrait peuvent techniquement être menées à terme, il n'en demeure pas moins qu'il se traduira à terme par une moins grande justice pour les citoyens des pays concernés, affirme Fannie Lafontaine. 

La CPI est un « dernier recours » pour permettre aux victimes d'obtenir justice lorsque ce n'est pas possible dans leur pays, explique la juriste. « Là, on perd cette option-là. »

Amnistie internationale et Human Rights Watch ont d'ailleurs déploré les retraits annoncés par le Burundi, l'Afrique du Sud et la Gambie, estimant qu'il s'agissait d'un « coup dur pour des millions de victimes ».