Le Soudan dont le président est accusé de génocide par la Cour pénale internationale (CPI) a encouragé samedi les États africains à suivre l'exemple de l'Afrique du Sud qui a annoncé son retrait de ce tribunal international.

La présidence soudanaise a appelé «les leaders africains et les peuples d'Afrique qui sont encore membres à se retirer collectivement de la CPI».

Un conseiller proche du président soudanais Omar el-Béchir a affirmé à l'AFP que d'autres pays africains étaient prêts à suivre l'Afrique du Sud dans ce geste de défi envers la CPI afin de montrer leur «solidarité» avec le chef de l'État soudanais.

Basée à La Haye, aux Pays-Bas, la CPI est le premier tribunal international permanent chargé de juger les responsables de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre dans le monde. Son entrée en fonctions en 2003 avait été salué par les défenseurs des droits de l'Homme comme un pas majeur dans la lutte contre l'impunité.

Entre 2009 et 2010, elle a lancé des mandats d'arrêt contre le président soudanais qui est accusé de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre pour son rôle dans le conflit au Darfour, une région de l'ouest du Soudan. Au moins 300 000 personnes y ont été tuées depuis le début du conflit entre rebelles et forces gouvernementales.

Mais M. Béchir voyage régulièrement en Afrique sans être inquiété.

«Toutes les affaires soulevées par la CPI visent des pays africains (...), jamais un pays européen ou Israël, malgré les crimes qu'ils commettent», a affirmé le conseiller du président soudanais Ibrahim Mahmoud.

Depuis son entrée en fonction en 2003, la CPI a ouvert dix enquêtes, dont neuf dans des pays africains. Certains leaders africains visés par ces enquêtes ont dénoncé une «sorte de chasse raciale».

Un certain nombre de pays africains avaient toutefois saisi eux-mêmes la Cour sur des situations de conflit dans leur pays.

L'Afrique du Sud menaçait depuis plus d'un an de dénoncer le traité de Rome, fondateur de la CPI.

En 2015, les autorités de Pretoria s'étaient retrouvées au coeur d'une vive controverse à l'occasion de la visite à Johannesburg de M. Béchir pour un sommet de l'Union africaine.

Le gouvernement avait alors refusé d'arrêter le chef de l'État soudanais. Il s'était défendu en expliquant que M. Béchir bénéficiait, de par sa fonction, d'une immunité.

C'est précisément cette affaire qui a justifié la décision de Pretoria de se retirer de la CPI. La Cour «entrave l'aptitude de l'Afrique du Sud à honorer ses obligations en matière de respect de l'immunité diplomatique», a expliqué un ministre.

La CPI enquête dans neuf pays... dont huit africains

La Cour pénale internationale a ouvert dix enquêtes dans neuf pays, dont huit sont en Afrique, depuis son entrée en fonction en 2003.

Cela lui vaut de nombreuses critiques parmi les dirigeants, notamment de l'Union africaine (UA), qui l'accuse de mener « une sorte de chasse raciale ».

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Le chef rebelle Bosco Ntaganda est accusé de crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis sous son commandement par les Forces patriotiques de libération du Congo en 2002 et 2003 en Ituri (est de la RDC). Son procès s'était ouvert en septembre 2015.

L'ex-chef de milice congolais Thomas Lubanga a été condamné à 14 ans de prison en 2012, peine ensuite confirmée en appel, pour avoir utilisé des enfants-soldats durant la guerre civile dans la province de l'Ituri (nord-est) en 2002 et 2003.

L'ex-chef de milice Mathieu Ngudjolo Chui a été acquitté en décembre 2012 pour l'attaque d'un village en 2003. Un autre ancien chef de milice, Germain Katanga, a été condamné le 23 mai 2014 à 12 ans de prison pour les mêmes faits.

Un mandat d'arrêt a été lancé en juillet 2012 contre le chef des rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), Sylvestre Mudacumura, pour des crimes commis dans les Kivu (est) en 2009 et 2010.

PHOTO MICHAEL KOOREN, ARCHIVES AFP

Bosco Ntaganda

Photo: Jerry Lampen, AP

Thomas Lubanga

OUGANDA

En 2005, la CPI a lancé des mandats d'arrêt contre Joseph Kony et d'autres hauts commandants de la rébellion de l'Armée de résistance du seigneur (LRA), notamment pour enrôlement d'enfants-soldats et esclavage sexuel entre 2002 et 2004.

L'un d'entre eux, Dominic Ongwen, s'est constitué prisonnier et a été transféré à la CPI. Son procès doit s'ouvrir le 6 décembre.

PHOTO STUART PRICE, ARCHIVES AP

Joseph Kony

PHOTO MICHAEL KOOREN, AFP/ANP

Dominic Ongwen

SOUDAN

Outre le président soudanais Omar el-Béchir, cinq autres personnes sont poursuivies dans l'enquête menée au Darfour (ouest du Soudan), déchiré depuis 2003 par une guerre civile qui a fait plus de 300 000 morts, selon l'ONU.

Omar el-Béchir fait l'objet de mandats d'arrêt datant de 2009 et 2010 pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide, mais il continue de voyager, principalement en Afrique, sans pour autant être inquiété.

En 2015, Pretoria avait provoqué une vive controverse en refusant d'exécuter le mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir.

KENYA

La procureure avait dû abandonner en avril, faute de preuves suffisantes, ses poursuites contre le vice-président kényan William Ruto et le présentateur de radio Joshua Arap Sang, dont le procès pour crimes contre l'humanité commis pendant les violences postélectorales de 2007-2008 s'était ouvert en septembre 2013.

La CPI avait également prévu un procès contre le président Uhuru Kenyatta, mais le procureur avait finalement abandonné les poursuites pour les mêmes raisons.

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Le vice-président du Kenya William Ruto

Photo Steffi Loos, AFP

Le président du Kenya, Uhuru Kenyatta

COTE D'IVOIRE

Premier ex-chef d'État remis à la CPI, Laurent Gbagbo est écroué à La Haye depuis le 30 novembre 2011. Son coaccusé, l'ex-chef de milice Charles Blé Goudé, est lui écroué depuis mars 2014.

Leur procès pour des crimes contre l'humanité, commis lors de violences postélectorales entre décembre 2010 et avril 2011, s'est ouvert le 28 janvier 2016.

L'épouse de Laurent Gbagbo, Simone, fait également l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI. Elle a été condamnée à 20 ans de prison en Côte d'Ivoire pour « atteinte à la sûreté de l'État » et est actuellement jugée notamment pour crimes contre l'humanité, par la cour d'assises d'Abidjan.

PHOTO MICHAEL KOOREN, ARCHIVES AFP/ANP

Laurent Gbagbo

PHOTO SIA KAMBOU, ARCHIVES AFP

Charles Blé Goudé

LIBYE

Actuellement détenu en Libye, Saïf al-Islam, fils de l'ex-dirigeant Mouammar Kadhafi, fait l'objet d'un mandat d'arrêt pour crimes contre l'humanité commis pendant le conflit qui a provoqué la chute et la mort de son père en 2011.

La Libye et la CPI se disputent le droit de le juger.

PHOTO ARCHIVES AFP

Saïf al-Islam Kadhafi

CENTRAFRIQUE

Une première enquête concerne Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la RDC voisine, qui a été condamné en juin à 18 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis par sa milice en Centrafrique (octobre 2002 - mars 2003). Cette milice était venue soutenir les troupes du président Ange-Félix Patassé, face à la rébellion de François Bozizé.

Une deuxième enquête a été ouverte en septembre 2014, sur une liste « interminable » d'atrocités commises par des milices armées en Centrafrique depuis août 2012.

PHOTO Michael Kooren, archives reuters

Jean-Pierre Bemba

MALI

Le Touareg Ahmad Al Faqi Al Mahdi a été condamné à neuf ans de détention en septembre après avoir été reconnu coupable d'avoir démoli des mausolées classés au patrimoine mondial de l'humanité à Tombouctou, lors du premier procès d'un djihadiste devant la Cour.

photo Bas Czerwinski , AP

Ahmad Al Faqi Al Mahdi

GÉORGIE

La procureure avait annoncé fin janvier ouvrir une enquête sur la guerre d'août 2008 ayant opposé Géorgie et Russie en Ossétie du Sud, sa première en dehors de l'Afrique. Aucun mandat d'arrêt n'a encore été lancé.

EXAMENS PRÉLIMINAIRES

Des examens préliminaires, préalables à l'ouverture d'une éventuelle enquête, sont en cours en Afghanistan, au Burundi, en Colombie, au Gabon, en Guinée, en Irak, au Nigeria, en Palestine et en Ukraine.