Décidé à mettre un terme à la contestation qui agite le Burundi depuis fin avril, le camp du président Pierre Nkurunziza multiplie les propos incendiaires et joue dangereusement avec la question ethnique, inquiétant analystes, diplomates et opposants.

La France a condamné vendredi «les discours de haine» à la connotation communautaire «inacceptable» et annoncé la tenue lundi d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU pour évoquer la situation.

«Pour tenter de mettre fin à la crise, le pouvoir use désormais d'un discours dangereux, guerrier et ambigu, avec des relents ethniques. C'est une fuite en avant et on ne sait pas où il va s'arrêter», s'alarme un universitaire burundais ayant requis l'anonymat.

Fin octobre, le président du Sénat Révérien Ndikuriyo a menacé de «pulvériser les quartiers» contestataires de la capitale, en rappelant les bombardements durant la guerre civile (1993-2006) des quartiers hutu, que l'armée - alors dominée par la minorité tutsi - accusait d'héberger des rebelles.

«Aujourd'hui, les policiers tirent dans les jambes pour éviter de tuer quand ils sont la cible de grenades dans vos quartiers (...), mais le jour où on va leur dire de "travailler", ne venez pas pleurer!», a surtout lancé M. Ndikuriyo.

Le terme renvoie au génocide de 1994 qui fit 800 000 morts en trois mois au Rwanda voisin, où les miliciens hutu partant massacrer les Tutsi étaient enjoints à bien «travailler».

Dénonçant des «messages de haine et de division», Jérémie Minani, responsable du CNARED, large coalition de groupes opposés au troisième mandat de M. Nkurunziza, a estimé qu'un «génocide est en marche».

L'International Crisis Group (ICG) a critiqué une rhétorique semblable «à en faire froid dans le dos» à celle du génocide rwandais.

«Mensonge! Personne ne prépare un génocide», a assuré à l'AFP un haut gradé de la police, se disant néanmoins «prêt à tout pour défendre la démocratie pour laquelle nous avons versé notre sang».

La crise burundaise est avant tout politique, mais fait ressurgir les antagonismes Hutus/Tutsis, dix ans après la fin de la guerre civile, dans un pays à l'histoire postcoloniale jalonnée de massacres interethniques.

Comme ce gradé, nombre des durs du parti présidentiel CNDD-FDD ont combattu dans ses rangs quand il était une rébellion hutu. Et certains ont martelé que les foyers contestataires étaient surtout des quartiers tutsi.

«Dernier ultimatum»

La candidature de M. Nkurunziza à un troisième mandat - contraire, selon les contestataires à la Constitution et à l'accord d'Arusha ayant mis fin à la guerre civile - a plongé fin avril le Burundi dans une crise qui a déjà fait au moins 200 morts.

Une brutale répression des manifestations et la réélection en juillet de M. Nkurunziza n'ont pas empêché l'intensification des violences, désormais armées.

Lundi, le président a lancé un «dernier ultimatum» aux contestataires, leur donnant jusqu'à samedi soir pour «déposer les armes» en échange d'une amnistie, après quoi la police serait autorisée à «user de tous les moyens et techniques apprises».

«Les forces de l'ordre ont déjà tout utilisé en terme de violence, sans résultat. On peut se demander à quel palier on veut les faire passer», s'alarme un autre analyste burundais. «Si l'on met bout à bout tous ces appels, on peut craindre que cela débouche sur des violences de masse».

Ministre de la Sécurité publique, Alain-Guillaume Bunyoni, véritable numéro 2 du régime, a ainsi rappelé aux habitants des quartiers contestataires qu'ils étaient minoritaires face à la masse paysanne hutu des campagnes, largement favorable au président Nkurunziza.

«Si les forces de l'ordre échouaient, on a 9 millions de citoyens à qui il suffit de dire: "Vous nous avez élus (...), faites quelque chose"», a-t-il lancé. «En quelques minutes, ils seraient ici! Qui parmi ceux qui ne rentrent pas dans le rang survivrait dans ce cas?».

L'Union africaine s'est inquiétée des potentielles «conséquences dévastatrices» de ces déclarations tandis que Washington a dénoncé une «rhétorique dangereuse, irresponsable» du camp présidentiel.

De nombreux habitants effrayés ont commencé à fuir les quartiers contestataires de Bujumbura. «Nos dirigeants veulent se venger et ne s'en cachent pas», a expliqué à l'AFP une habitante de Mutakura, quittant le quartier avec ses quatre enfants.

Vendredi, le corps d'un des fils du défenseur des droits de l'homme et figure de la contestation, Pierre-Claver Mbonimpa, a été retrouvé dans un quartier contestataire, quelques heures après son arrestation par la police, selon son père.

«La question c'est de savoir jusqu'où le pouvoir va aller dans l'exécution de ses menaces», s'est inquiété un diplomate à Bujumbura. «On essaie de faire passer des messages d'apaisement, mais le pouvoir ne semble plus nous entendre.»

Les tueries «doivent cesser», exige Ban Ki-moon

Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a exigé vendredi que la violence et les tueries répétées cessent au Burundi, selon un communiqué de l'ONU.

M. Ban a estimé que les tueries «doivent cesser», déplorant dans un communiqué que la découverte de corps de Burundais, «dont beaucoup semblent avoir été exécutés sommairement», soit devenue une «occurrence fréquente» dans la capitale.