La décapitation par le groupe Etat islamique (EI) en Égypte d'un Croate travaillant pour une compagnie française fait redouter une désaffection des touristes et des investisseurs étrangers, mais renforce aussi l'Égypte dans le rôle qu'elle affectionne, celui de rempart contre le djihadisme.

Cette nouvelle atrocité pourrait notamment permettre de justifier la vente au régime d'Abdel Fattah al-Sissi de nombreux armements par certains pays occidentaux, comme les États-Unis et la France, qui ferment volontiers les yeux sur les violations massives des droits de l'Homme en Égypte, où le régime réprime d'une main de fer toute opposition.

L'Égypte dispose de l'une des armées les mieux équipées de la région, surtout depuis que Washington a repris son financement et la livraison d'avions de combats F-16 et que la France lui a vendu 24 Rafale et une frégate multimissions FREMM.

En attendant, la branche égyptienne de l'EI, qui se fait appeler Province du Sinaï, semble avoir changé de stratégie. Après avoir tué soldats et policiers en représailles à la répression des partisans du président islamiste déchu Mohamed Morsi, elle semble faire comme l'EI en Syrie et en Irak: kidnapper et décapiter des Occidentaux. Et effrayer ainsi les touristes et les compagnies occidentales présentes en Égypte.

Province du Sinaï avait déjà revendiqué un attentat visant le consulat d'Italie au Caire le 11 juillet et le meurtre d'un Américain travaillant pour une société pétrolière tué il y a un an, non loin de là où le Croate Tomislav Salopek a été enlevé -- une vingtaine de km au sud-ouest du Caire -- fin juillet avant que l'EI n'affirme l'avoir décapité mercredi.

«Plus grande radicalisation»

«Cette exécution indique que les éléments égyptiens de l'EI qui sont de retour de Syrie et d'Irak ont pris totalement le contrôle du groupe Province du Sinaï et qu'ils appliquent la même stratégie» suivie par l'EI, analyse Mathieu Guidère, professeur d'Études islamiques et de géopolitique à l'université de Toulouse (France).

«Cela signifie une plus grande radicalisation et une extension des actions aux étrangers, une concentration sur les cibles économiques visant à affaiblir davantage le régime», ajoute l'expert.

«Les attaques ont contraint récemment les ambassades et les compagnies à renforcer leurs mesures de sécurité, essentiellement celles qui travaillent dans le secteur du gaz et du pétrole», indique de son côté Angus Blair, directeur du Think Tank d'analyse économique Signet, basé au Caire.

La plupart des ambassades occidentales ont assuré à l'AFP qu'elles n'avaient pas donné de consignes de sécurité supplémentaires après l'annonce de la décapitation, ayant déjà récemment déconseillé certaines zones à leurs ressortissants.

Mais des responsables de ces chancelleries ont assuré à l'AFP avoir reçu de nombreux coups de téléphone de compagnies étrangères demandant des conseils.

Pour ce qui est des touristes, ils boudaient déjà l'Égypte depuis la révolte qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir en 2011 et les trois années de chaos qui ont suivi. La décapitation d'un Occidental ne devrait pas les inciter à revenir massivement.

«L'impasse» de la guerre antiterroriste 

«Ce drame nous rappelle que la sécurité des sites doit être considérablement renforcée», déclare Hossam Hazaa, membre de la Chambre du tourisme.

Un massacre évité de justesse le 10 juin au temple de Karnak à Louxor (sud), notamment par la maladresse d'assaillants armés jusqu'aux dents, avait mis en lumière des défaillances dans la surveillance des sites par la police et leur sécurité a été renforcée depuis.

Que l'impact de cette décapitation soit important ou non pour l'économie, les experts pensent qu'elle va renforcer l'afflux d'aide financière et d'armements dont bénéficie le régime au nom de sa «guerre contre le terrorisme», qu'il brandit à l'envi à destination des opinions égyptienne et internationale.

«L'Égypte de Sissi souhaite se positionner comme le dernier rempart contre le terrorisme et inciter les puissances internationales à la soutenir financièrement et militairement, et à fermer les yeux sur la contre-révolution et les violations des droits de l'Homme», analyse Karim Bitar, spécialiste du monde arabe à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris.

Mais la décapitation de Salopek «vient illustrer une nouvelle fois l'impasse de la ''guerre contre le terrorisme'' et de la répression tous azimuts en Égypte qui viennent au contraire renforcer» l'EI, redoute-t-il.