Pas un jour sans une attaque: la multiplication d'attentats perpétrés par le groupe islamiste Boko Haram fragilise le Nigeria à l'approche d'élections cruciales, mais menace aussi de déstabiliser toute la région aux confins du Cameroun, du Tchad et du Niger.

Le Nigeria est sous le choc du massacre commis vendredi à la grande mosquée de Kano, la principale ville du nord du pays: au moins 120 personnes ont été tuées dans un double attentat suicide, suivi d'une attaque d'un commando armé, à l'heure de la prière.

L'attentat a toutes les apparences de représailles contre l'émir de Kano: depuis cette mosquée, celui qui est le deuxième responsable musulman du pays avait appelé la semaine dernière la population à prendre les armes pour se protéger des attaques islamistes.

«Boko Haram a menacé à plusieurs reprises les chefs religieux et coutumiers dans le nord du Nigeria, qui sont vus par le groupe comme des alliés et des instruments de l'État», souligne Andrew Noakes, du Réseau nigérian des analystes de sécurité.

Avant la présidentielle de février 2015 à laquelle le chef de l'État Goodluck Jonathan se représente, l'attaque rappelle aussi que le groupe islamiste a sans cesse cherché ces dernières semaines à étendre son rayon d'action, bien au-delà des trois États (Borno, Yobe et Adamawa) qui sont les plus affectés dans son fief du Nord-Est.

«Frapper n'importe où»

«Boko Haram essaie d'imposer l'idée qu'il peut frapper n'importe où», explique Ryan Cummings, expert en sécurité pour la société Red24.

Quelques heures à peine avant l'attentat de Kano, une bombe dissimulée près d'une autre mosquée à Maiduguri, à quelque 600 km à l'est, a pu être désamorcée.

La capitale de l'État de Borno, où Boko Haram a été fondé en 2002, était déjà sous haute tension: deux femmes kamikazes y ont tué mardi plus de 45 personnes sur un marché très fréquenté.

La veille, une cinquantaine de personnes avaient péri à Damasak, à 180 km au nord de la ville, près de la frontière avec le Niger, lors d'un assaut de combattants de Boko Haram, qui se sont emparés de la ville.

La chronique des tueries est déjà ancienne: les violences islamistes, mais aussi leur répression par les forces de sécurité, ont fait 13 000 morts et déplacé 1,5 million de personnes depuis 2009.

Cependant, le rythme de plus en plus effréné des attaques au cours des derniers mois, ainsi que la variété des techniques - des attaques éclair aux attentats suicides en passant par la conquête de territoires - marque un changement.

En quelques mois, le mouvement armé a conquis une vingtaine de localités du nord-est du Nigeria et a proclamé un «califat» dans les zones sous son contrôle, en écho au «califat» décrété par les jihadistes de l'État islamique (EI) dans des régions conquises à cheval sur l'Irak et la Syrie.

Menace régionale

Changement d'échelle aussi, puisque Boko Haram s'impose plus que jamais comme une menace régionale. L'extrême nord du Cameroun subit de plus en plus d'incursions sanglantes et le Niger et le Tchad voisins redoutent aussi des attaques. D'autant qu'approche la saison sèche, qui facilite le franchissement de barrières naturelles comme les cours d'eau.

Une source humanitaire au Niger a évoqué récemment la «psychose» née de la peur d'attaques dans la région frontalière. La sécurité a dû être renforcée vendredi à Diffa, la grande ville de l'Est nigérien proche du Nigeria, et des écoles et des dispensaires ont été fermés dans la zone, où affluent les réfugiés nigérians.

Boko Haram, dont le nom en langue haoussa signifie «l'éducation occidentale est un péché», s'en prend régulièrement aux écoles, aux enseignants et aux élèves.

Le groupe retient toujours 219 écolières enlevées en avril dernier à Chibok (nord-est), un rapt qui avait scandalisé le monde entier.

Au Tchad, la principale crainte, «c'est un attentat mené par une personne isolée», selon un diplomate occidental.

Hors du Nigeria, c'est l'extrême nord du Cameroun qui est en première ligne: les responsables militaires y sont «convaincus» que Boko Haram cherche à instaurer un État islamique «non seulement au Nigeria, mais aussi au Cameroun», confie l'un d'eux.

Si la menace est de plus en plus régionale, la réponse ne semble pourtant pas à la hauteur.

Le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria étaient censés avoir envoyé 2800 soldats le long de leurs frontières au 1er novembre pour épauler les militaires nigérians sur place. Mais aucun déploiement n'a été annoncé pour l'heure.