Le médecin congolais Denis Mukwege a appelé ses compatriotes à «soigner» la République démocratique du Congo, engluée dans la violence, en recevant mercredi le prix Sakharov 2014 du Parlement européen pour son combat en faveur des femmes victimes de viols.

Devant des eurodéputés émus par le combat et la personnalité du gynécologue-obstétricien de 59 ans, le président du parlement a salué un homme «qui se bat pour la dignité des femmes, la justice et la paix dans son pays».

«C'est mon 20e prix Sakharov, mais j'ai rarement vu pleurer des hommes et des femmes en plénière», a souligné Martin Schulz, avant de promettre que le Parlement européen allait «intensifier le combat contre l'impunité des responsables de viols de masse».

«Le corps des femmes est devenu un véritable champ de bataille», a déclaré de son côté M. Mukwege. «Nous devons fixer une ligne rouge contre l'utilisation du viol comme arme de guerre», a insisté le médecin, qui martèle cette revendication face à «l'une des plus grandes catastrophes humanitaires des temps modernes».

Surnommé «Docteur miracle», le médecin apporte depuis une quinzaine d'années son aide aux femmes violées dans l'est de la RDC. Il a notamment créé un hôpital et une fondation dans le quartier de Panzi de Bukavu pour soigner les victimes.

Ces femmes, à qui il a dédié son prix mercredi en saluant leur dignité et leur courage, peuvent y bénéficier d'une chirurgie reconstructive ainsi que d'une aide psychologique.

Le Dr Mukwege a déjà étendu son action à deux autres centres construits en RDC.

«Nous sommes en train d'étudier la faisabilité d'un tel centre au Burkina Faso» et «nous avons des sollicitations également de l'Afghanistan, où beaucoup de femmes sont dans la même situation», a-t-il dit à l'AFP.

Depuis l'hémicycle du Parlement européen, le médecin a lancé un vibrant appel à ses compatriotes, en soulignant l'extrême pauvreté de la population dans un pays pourtant riche en ressources, du fait de «l'insécurité et de la mauvaise gouvernance».

«Le courage des femmes»

«Notre pays est malade, mais, ensemble, avec nos amis de par le monde, nous pouvons et nous allons le soigner», a-t-il dit avant d'être longuement applaudi par les députés et salué depuis la tribune des visiteurs par des chants entonnés par une délégation congolaise.

Martin Schulz a appelé le gouvernement de la RDC à «jouer pleinement son rôle dans la prise en charge des victimes de viols de masse» et à «s'atteler à mettre en place les nécessaires réformes du secteur de la sécurité et des institutions issues d'élections justes». L'UE a également un rôle à jouer en améliorant ses aides financières, a-t-il dit.

Denis Mukwege mène son combat au péril de sa vie. Le 25 octobre 2012, il avait échappé à une tentative d'assassinat par un groupe d'hommes armés, au cours de laquelle un de ses domestiques avait été tué. Ce «traumatisme» pour sa famille l'a poussé à s'installer un temps en Europe, avant d'être convaincu par ses patientes de revenir au pays.

«Elles avaient même écrit qu'elles étaient prêtes à assurer ma sécurité si l'ONU ou l'État congolais ne pouvaient pas le faire», a raconté à l'AFP le médecin, qui vit désormais reclus dans son hôpital de Bukavu.

«Le courage des femmes congolaises est un soutien, mais aussi une source d'inspiration quotidienne qui nous font continuer malgré le danger et les difficultés», a-t-il dit.

Le prix Sakharov, attribué tous les ans, récompense des personnalités ou des collectifs qui se sont illustrés dans la défense des droits de l'homme.

C'est le président du parlement et les présidents des groupes politiques qui choisissent le lauréat parmi une liste établie au préalable par les députés. En 2013, c'est la jeune Pakistanaise Malala Yousafzai, corécipiendaire cette année du Nobel de la paix, qui avait été choisi pour son combat en faveur du droit à l'éducation.