En «guerre» contre le pouvoir kényan, les islamistes somaliens shebab ont poursuivi leurs attaques meurtrières le long de la côte touristique de l'océan Indien, avec un nouveau raid qui a fait au moins 15 morts lundi soir près de l'archipel de Lamu. Mais le président kényan Uhuru Kenyatta refuse d'y voir la main des shebab, accusant plutôt «des réseaux politiques locaux».

En moins de 48 heures, deux attaques perpétrées dans la même zone - dans le sud-est du Kenya, à une centaine de kilomètres au sud de la frontière somalienne - ont fait au moins 64 morts, tous des Kényans, posant un défi majeur aux autorités du pays, dont les troupes combattent les shebab en Somalie au sein d'une force de l'Union africaine.

Dernière tuerie en date, dans la nuit de lundi à mardi, des hommes armés ont fait une descente sur le village de Poromoko, y faisant 15 morts, selon des sources sécuritaires. Le précédent bilan faisait état de 10 victimes.

Selon la police locale, ces assaillants semblaient faire partie du même commando - une cinquantaine d'hommes lourdement armés - qui avait déjà tué dimanche soir au moins 49 personnes dans la localité toute proche de Mpeketoni, ciblant exclusivement, selon des témoins, des hommes de confession chrétienne.

Légèrement en retrait de l'océan Indien, Mpeketoni se trouve à une trentaine de kilomètres de la ville touristique et historique de Lamu, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO.

À Mpeketoni, où de nombreux bâtiments ont été ravagés dimanche soir par les flammes, la tension restait très forte mardi par crainte de nouvelles attaques. Une trentaine de corps étaient toujours étendus sous une tente dans le jardin de l'hôpital, avant leur enterrement.

«Les gens se disaient que c'était terminé hier (lundi), mais quand nous avons appris les nouvelles ce matin, l'humeur est devenue sinistre», a confié à l'AFP David Njoroge, un pasteur évangélique de 54 ans.

Les shebab, liés à Al-Qaïda, n'ont pas tardé à revendiquer l'opération sanglante de Poromoko, affirmant avoir tué «20 personnes».

«Nous avons tué 20 personnes, principalement des policiers et des gardes forestiers kényans. Les membres du commando se sont rendus dans plusieurs endroits à la recherche de soldats», a déclaré à l'AFP par téléphone Abdulaziz Abu Musab, porte-parole militaire des shebab.

«Les membres du commando ont accompli leur devoir et sont rentrés tranquillement à leur base», a-t-il lancé, sans préciser si cette «base» se trouve au Kenya ou en Somalie.



Pour Nairobi, ce n'est pas l'oeuvre des shebab

Le pouvoir kényan a démenti mardi l'implication des shebab dans la vague d'attaques meurtrières le long de la côte touristique du pays, accusant «des réseaux politiques locaux», malgré les revendications des islamistes somaliens.

Mais le président kényan Uhuru Kenyatta, au cours d'une adresse à la Nation, a créé la surprise en niant l'implication des islamistes, accusant en lieu et place «des réseaux politiques locaux» liés à des «gangs criminels» non spécifiés. Selon lui, il s'agissait de «violences ethniques aux motivations politiques».

Chrétiens exécutés

Une porte-parole de la police nationale kényane, Zipporah Mboroki, a confirmé le nouvel attentat, mais sans donner de bilan. «Nos policiers essaient d'accéder au lieu de l'attaque et les informations restent partielles», a-t-elle dit.

Condamné par les États-Unis et l'ONU, l'attentat de Mpeketoni était le plus meurtrier et le plus spectaculaire depuis l'assaut par un commando shebab du centre commercial Westgate de Nairobi en septembre 2013, qui avait fait au moins 67 morts.

Selon des survivants, le commando s'en est pris dimanche exclusivement à des hommes chrétiens, épargnant femmes, enfants et musulmans.

«Ils les ont tués un par un (...), directement dans la tête, l'un après l'autre», a raconté David Waweru, un jeune homme qui avait réussi à se mettre à l'abri. Ce qui fait dire au pasteur Njoroge que «la tension commence à monter» entre chrétiens et musulmans dans cette région.

En revendiquant lundi l'attentat de Mpeketoni, les shebab avaient promis de nouvelles tueries au Kenya. Les islamistes avaient aussi menacé étrangers et touristes, les appelant à éviter le Kenya, décrété «zone de guerre», sous peine d'«amères conséquences».

Ils mettent en cause Nairobi pour l'intervention kényane en Somalie, mais aussi pour «les intimidations et exécutions extrajudiciaires de responsables musulmans».

L'armée kényane est entrée en Somalie en octobre 2011 pour y combattre les islamistes somaliens, avant de s'intégrer à l'AMISOM, force militaire africaine qui compte aujourd'hui 22 000 hommes.

Par ailleurs, plusieurs responsables musulmans radicaux ont été tués ces dernières années dans la ville de Mombasa, sur la côte kényane, où la communauté musulmane est de plus en plus perméable à l'islamisme. Des organisations de défense des droits de l'homme ont accusé les autorités de perpétrer des exécutions extrajudiciaires.

Les attaques, attribuées aux shebab ou à leurs sympathisants, n'ont en tout cas cessé de s'intensifier depuis mars au Kenya. Le pays, connu dans le monde entier pour ses safaris et ses plages paradisiaques, voit son tourisme s'effondrer dans ce climat de violence.

52 personnes portées disparues

Une cinquantaine de Kényans sont portés disparus après les attentats meurtriers perpétrés près de la côte touristique du pays ces derniers jours, a indiqué mardi la Croix-Rouge locale.

«Les 52 personnes portées disparues sont celles dont les proches ont dit être sans nouvelles», a déclaré à l'AFP un porte-parole de la Croix-Rouge kényane, Wariko Waita.

Des dizaines d'habitants ont fui dans la brousse et la forêt après les attentats perpétrés dimanche et lundi. 

Certaines personnes considérées comme disparues peuvent être tout simplement injoignables pour le moment, après avoir fui en catastrophe, et «d'autres pourraient faire partie des victimes», a indiqué M. Waita. «Nous prenons chaque cas très au sérieux».