En 1993, le Burundi - petit pays d'Afrique de l'Est, voisin du Rwanda - a sombré dans une guerre civile opposant l'ethnie hutue majoritaire et la minorité tutsie. Depuis la signature d'un accord de paix en 2005, tous travaillent ensemble à reconstruire le pays. Mais les cicatrices du conflit sont encore bien visibles.

Dans le quartier de Kamenge, dans le nord de la capitale, quelques centaines de citoyens s'affairent à nettoyer un caniveau bloqué par la boue et les ordures. Au Burundi, c'est ainsi que commencent tous les samedis: de 7h30 à 10h30, les citoyens sont tenus de participer à des «travaux d'intérêt général». Les commerces ferment et toute circulation est interdite.

Depuis leur instauration en 2006 par le président Pierre Nkurunziza, ces travaux ont servi à construire cliniques et écoles, dont le pays avait grandement besoin après une décennie de guerre civile. Ils ont aussi contribué à réconcilier une population déchirée.

«C'est un endroit où les gens ne font pas que parler des divisions ethniques. Hutus et Tutsis travaillent ensemble», souligne Phil Clark, spécialiste des processus de réconciliation post-génocides et professeur à l'Université de Londres.

Aujourd'hui, cependant, la participation aux travaux faiblit. À peine à deux coins de rue du caniveau bloqué, un groupe de jeunes hommes dispute un match de basketball. «Parfois, la police les embarque pour les amener aux travaux, mais c'est plutôt rare», explique Clément (nom fictif), résidant de Bujumbura qui a accepté de nous servir de guide. Comme la participation n'est officiellement pas encadrée par aucune loi, plusieurs citoyens choisissent de rester à la maison.

Chanson de propagande

À Kamenge, beaucoup des personnes présentes arborent des t-shirts à l'effigie des Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au pouvoir depuis 2005. Une chaîne stéréo diffuse une musique entraînante, dont les paroles sont en kirundi. «Ce sont toutes des chansons vantant le parti. Les travaux sont devenus un outil politique, réservés aux supporters du CNDD-FDD», estime Clément, qui avoue lui-même n'avoir jamais participé auparavant.

Il montre un 4x4 blanc qui se fraie lentement un chemin à travers la foule. À son bord, le maire de Bujumbura, Saidi Juma, est tout sourire. Vêtu d'une veste et d'une casquette blanches, il s'arme d'une pelle et descend dans le caniveau pour aider les autres hommes à en retirer la boue.

Peu à peu, le rassemblement prend des allures de fête de quartier. Très vite, on dénombre plus de spectateurs que de travailleurs. Déposant sa pelle, ses habits toujours immaculés, le maire vient discuter avec un petit groupe de citoyens. «Les travaux sont un succès, assure-t-il. C'est une occasion pour les citoyens de se réunir et de discuter de ce qui ne va pas dans leur communauté.»

Toutefois, en discutant avec les participants, on constate que plusieurs viennent d'autres coins de la capitale, voire du pays. Chaque semaine, ils se rendent en masse dans un quartier prédéterminé, où les attendent caméramans et photographes. «Samedi dernier, j'étais à Mutanga, dans le sud de la capitale», lance fièrement Oswald, à quelques pas du maire. Selon un journaliste local, les cadres du CNDD-FDD sont quant à eux répartis dans le pays, et s'exposent à des sanctions en cas d'absences répétées.

Des destins entrelacés

Fierté du président burundais, les travaux d'intérêt général ont en fait débuté au Rwanda, où ils ont lieu le dernier samedi du mois. «Comme les deux pays ont un passé similaire, le Burundi et le Rwanda s'inspirent beaucoup l'un de l'autre», souligne Phil Clark.

Toutefois, les deux pays adoptent des attitudes diamétralement opposées lorsqu'il est question d'ethnicité. Alors que le sujet est tabou au Rwanda, les Burundais s'affichent ouvertement comme Hutu ou Tutsi.

Après la guerre, le gouvernement burundais a instauré des quotas assurant une représentation équilibrée des deux ethnies au sein du Parlement, de la fonction publique et de l'armée, tandis que le Rwanda a choisi de prôner une «identité nationale» et de contester la distinction ethnique.

«Au Rwanda, le Front patriotique - formé de Tutsis - est incontesté comme héros du conflit et a 100% du contrôle politique, explique Phil Clark. Au Burundi, la situation politique est beaucoup plus chaotique. On tente de satisfaire Hutus et Tutsis, et tout le monde marche sur des oeufs.»

Le professeur attend avec impatience la mise sur pied de la Commission de vérité et réconciliation du Burundi. À l'état de projet depuis l'an 2000, cette commission doit faire la lumière sur les crimes commis durant le conflit.

«Tant qu'il n'y aura pas eu de dialogue honnête sur le passé, il ne pourra pas y avoir de paix durable.» En attendant, les Burundais devront se contenter des matinées du samedi pour réapprendre à vivre ensemble.

«Le Burundi est souvent oublié dans l'ombre du Rwanda, même 20 ans après les génocides», déplore le professeur Phil Clark. Latentes depuis l'époque coloniale, les tensions interethniques ont dégénéré au Burundi en octobre 1993, lorsque le Hutu Melchior Ndayaye, premier président démocratiquement élu depuis l'indépendance, a été assassiné par des extrémistes tutsis. Dans les mois qui ont suivi, alors que la communauté internationale avait les yeux rivés sur le Rwanda, le Burundi a sombré dans une guerre civile qui a duré jusqu'en 2005 et qui a fait plus de 300 000 morts.