Le gouvernement kényan est accusé par des sources sécuritaires d'avoir pris «avec désinvolture» des menaces sur un risque élevé d'attentat, signalées peu avant l'attaque sanglante contre le centre commercial Westgate de Nairobi il y a tout juste une semaine.

Une soixantaine de personnes restent portées disparues après le carnage commis par un commando islamiste qui a fait au moins 67 morts et 240 blessées.

Le Junction, un autre centre commercial de la capitale, était moins fréquenté samedi que d'habitude.

«Il y a plus de personnel que de clients», se désole Evans Oluoch, cuisinier d'un des nombreux restaurants du Junction.

Florence Kimathi, 35 ans, ne se sent ainsi «pas en sécurité ici». «En général je passe la matinée ici avec mes deux filles», mais pas aujourd'hui, dit-elle, obsédée par «ces images à la télévision, ces enfants abattus comme des animaux».

Des sources sécuritaires de haut niveau ont affirmé à l'AFP qu'un rapport du renseignement kényan, le NIS, avait été diffusé à plusieurs ministères et aux chefs des services de sécurité avant le drame, prévenant d'un projet d'attaque de grande ampleur courant septembre.

Parmi d'autres, «Israël avait prévenu d'attaques possibles contre ses intérêts» au Kenya, mais «à part transmettre (ce rapport du NIS) d'un bureau à l'autre, rien n'a été fait», a asséné une source.

Depuis fin 2012, plusieurs autres rapports du NIS avaient déjà signalé des «menaces sur des objectifs précis, y compris le Westgate», a précisé un autre responsable sécuritaire de haut rang, «personne ne semblait les prendre au sérieux».

«Désinvolture»

«Personne ne peut dire qu'on n'était pas prévenus», a souligné ce haut responsable.

La première source sécuritaire a enfoncé le clou: «Ce type de rapports est diffusé à l'ensemble du gouvernement (...) mais ils les prennent toujours avec désinvolture» au lieu de «prendre les choses au sérieux».

Ces accusations tombent alors que l'opinion publique critique de plus en plus l'impréparation des autorités.

Des députés kényans veulent relever de ses fonctions Michael Gichangi, chef du NIS, parce qu'il n'a pu prévenir l'attaque. Ils doivent l'auditionner lundi.

Samedi matin, les trois principaux quotidiens kényans, Le Nation, le Standard et le Star, publiaient des extraits du rapport du NIS sur les menaces.

Ce document contient des avertissements d'Israël et «d'autres partenaires étrangers en matière de renseignement», d'après les sources sécuritaires. Outre Israël, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont les principaux partenaires sécuritaires du Kenya.

Selon le quotidien Nation, les ministères des Finances, de l'Intérieur, des Affaires étrangères et de la Défense, ainsi que le chef de l'armée, avaient notamment reçu le rapport, qui pointait «un risque élevé de terrorisme» courant septembre.

Le rapport ajoute que l'ambassade d'Israël à Nairobi avait directement informé le gouvernement kényan.

Le Westgate, partiellement détenu par des Israéliens, était depuis longtemps cité par les sociétés de sécurité comme une cible potentielle de groupes liés à Al-Qaïda - tels les insurgés islamistes somaliens shebab qui ont revendiqué l'attaque, l'expliquant comme des représailles à la présence militaire du Kenya en Somalie.

Nombreuses questions en suspens

Après trois jours de deuil national, des cellules de soutien psychologique accueillaient encore des survivants et des proches de victimes.

Il y a tout juste une semaine, un commando armé avait attaqué à l'arme automatique et à la grenade le luxueux centre commercial, abattant employés et clients et s'y retranchant avec des otages.

Au moins 61 civils et six membres des forces kényanes ont péri. La fin des opérations militaires contre les assaillants a été annoncée officiellement mardi soir.

Mais la confusion règne toujours sur le sort de la soixantaine de personnes portées disparues depuis l'attaque.

Des informations contradictoires ont filtré sur la présence de cadavres sous les décombres du bâtiment dévasté, où un bulldozer est entré en action samedi.

«Aux premières heures de l'attaque (...), nous sommes allés» au Westgate et «nous avons trouvé des survivants mais aussi de nombreux cadavres», a raconté le chef de la Croix-Rouge kényane, Abbas Gullet.

«Le sens commun vous dit d'aider les survivants (...) et que vous pourrez venir chercher les cadavres plus tard. (...) Et c'est ce qui s'est passé», a-t-il poursuivi. «Donc maintenant nous avons des cadavres là-bas». Même s'ils sont enfouis sous des tonnes de gravats.

Les enquêteurs kényans, aidés par des enquêteurs occidentaux et Interpol, continuent de passer au peigne fin les étages du Westgate, dont une partie s'est effondrée après un violent incendie pendant le siège.

La confusion des Kényans vient de ce que le ministre de l'Intérieur, Joseph Ole Lenku, assure depuis mercredi qu'il n'y reste qu'un nombre «marginal» de corps.

Le psychologue Oscar Githua s'est entretenu avec plusieurs proches de victimes. «Certains ne dorment plus, d'autres se repassent la scène encore et encore», raconte-t-il.

Des familles de disparus sont également venues, qui «se demandent toujours où sont ces personnes. (...) Il reste toujours une espèce d'espoir et c'est perturbant, certains peuvent même s'installer dans le déni», a-t-il expliqué.

Des membres des forces de sécurité se sont aussi présentés, «choqués» car «même s'ils sont entraînés pour faire la guerre, c'est douloureux de voir des familles, des enfants tués», selon le psychologue.

D'autres questions restent sans réponse, comme l'identité et le sort des assaillants. Cinq ont péri pendant le siège.

L'attaque du Westgate est le pire attentat au Kenya depuis celui de l'ambassade américaine en 1998, au cours de laquelle plus de 200 personnes étaient mortes.