Le sanglant conflit de la mine sud-africaine de Marikana (nord) tournait à la bataille juridique vendredi après l'étonnante inculpation pour meurtre de près de 300 grévistes, consécutif au massacre de 34 de leurs camarades par la police le 16 août.

Le ministre sud-africain de la Justice Jeff Radebe a demandé des explications après cette décision, qui rappelle les méthodes de l'apartheid.

« Il ne fait aucun doute que la décision du Parquet a induit un sentiment de choc, de panique et de confusion dans la société sud-africaine », a déclaré M. Radebe dans un communiqué.

Le magistrat Esau Bodigelo n'a pas indiqué sur quel texte il s'est basé jeudi pour inculper de meurtre ces hommes qui faisaient partie des grévistes, armés de lances et de machettes, sur lesquels la police a tiré.

De nombreux juristes estiment que le juge a utilisé une loi anti-émeutes de 1956 du temps de l'apartheid, qui est toujours en vigueur.

Le texte prévoit que soit inculpée pour meurtre toute personne arrêtée sur le site d'une fusillade impliquant la police, que les victimes soient des policiers ou non.

« Le régime de l'apartheid a souvent utilisé cette disposition pour obtenir une condamnation pénale d'un ou de plusieurs dirigeants d'une manifestation, ou de dirigeants d'organisations de la lutte anti-apartheid telles que l'ANC (...), dont les membres (...) avaient pris part à des activités de sabotage, agressé ou tué des représentants du régime de l'apartheid », rappelle le constitutionnaliste Pierre de Vos sur son blogue.

À moins que le Parquet n'ait à sa disposition des éléments inconnus du public, « il n'y a aucune raison valable possible » d'inculper les mineurs pour meurtres, estime-t-il.

« Je comprendrais si le cas avait à voir avec le meurtre de deux policiers (tués dans les jours précédents, NDLR), mais les inculper pour la fusillade de la police sur leurs camarades est étrange », a renchéri Vincent Nmehille, juriste à l'Université de Witwatersrand.

Aucun policier n'a encore été inquiété, une commission d'enquête spéciale ayant été installée pour faire la lumière sur cette affaire.

Le Parquet a confirmé que l'inculpation pour meurtre était une procédure normale pour les personnes arrêtées lors d'un affrontement mortel avec la police.

Les avocats des 270 inculpés ont appelé le président Jacob Zuma à « prendre toutes les mesures nécessaires pour faire libérer (leurs) clients d'ici 13 h (7 h, heure de Montréal) dimanche 2 septembre ».

La prochaine audience a été fixée au 6 septembre.

Plusieurs enterrements ce week-end

La journée de vendredi a été plutôt calme à Marikana, où le corps de l'une des victimes a été apporté sur la colline sur laquelle la fusillade s'est déroulée, où un bon millier de personnes lui ont rendu hommage.

Une vingtaine de funérailles devaient être organisées cette fin de semaine, surtout dans le sud-est du pays, plus de quinze jours après le drame.

Les négociations entre les syndicats et Lonmin, le groupe qui exploite la mine de platine de Marikana, ont par ailleurs été ajournées jusqu'à lundi.

« Nous ne pouvons pas dire que nous sommes satisfaits des progrès à ce jour. L'employeur n'a pas fait d'offre sur les salaires. Tout ce qu'ils veulent, c'est que les travailleurs retournent simplement au travail », a déclaré Zolani Bodlani, l'un des représentants des grévistes, alors que seuls 5,7 % des 28 000 employés se sont rendus à la mine vendredi matin.

Les 3000 foreurs qui se sont mis en grève le 10 août réclament un triplement de leurs salaires.

Le petit syndicat radical AMCU, qui a soutenu la grève sauvage de Marikana, a d'ores et déjà annoncé qu'il claquait la porte.

« Nous n'avons pas confiance dans les négociations, elles sont juste une distraction pour que Lonmin puisse apparaître comme faisant quelque chose », a commenté son dirigeant Joseph Mathunjwa.

Dix hommes, dont deux policiers, ont été tués entre le 10 et le 12 août dans des affrontements intersyndicaux à Marikana. Puis 34 personnes ont été abattues par la police le 16.