Les violences qui ont marqué une grève sauvage à la mine de Marikana, faisant 44 morts, ont mis en lumière la bataille féroce que se livrent les syndicats sud-africains pour se disputer les faveurs des travailleurs, utilisant intimidations et sortilèges.

Dans les riches mines de platine du nord du pays, dont Marikana est l'une des plus importantes, la suprématie du Syndicat national des mineurs (NUM) est directement mise en cause par la petite formation AMCU, qui regroupe depuis onze ans mineurs et employés des BTP.

Revendiquant quelque 300 000 adhérents, le NUM est le plus important syndicat de la puissante confédération Cosatu, qui avec ses 2,2 millions de membres est un allié de poids du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir en Afrique du Sud.

Pour Hamadziripi Tamukamoyo, chercheur à l'Institut sud-africain des études sur la sécurité (ISS), «certains ont soutenu que le Cosatu (...) représente surtout désormais une "aristocratie ouvrière" et est trop impliqué dans la politique élitiste de l'ANC pour pouvoir correctement travailler dans l'intérêt des pauvres».

D'où la fondation de l'AMCU, face à un syndicat dominant soupçonner de faire ami-ami avec les patrons, en oubliant les problèmes quotidiens.

Mais le petit syndicat n'a vraiment fait son trou que depuis quelques mois.

Il a rapidement gagné du terrain depuis le début de l'année, après une violente grève qui a duré six semaines à la mine Impala Platinum, la deuxième du monde, non loin de celle de Marikana.

Quelque 17 000 travailleurs ont été licenciés pendant cette grève sauvage avant d'être réintégrés. L'AMCU a ensuite revendiqué avoir gagné à sa cause la plupart des membres du NUM et à exigé d'être le syndicat reconnu de l'entreprise.

Pour qu'un syndicat soit reconnu pour pouvoir participer aux négociations salariales, il doit représenter plus de la moitié des effectifs.

Les syndicats vivent des cotisations des travailleurs. Et ils n'hésitent pas à recourir à la violence ou à l'intimidation pour enrôler ces derniers ou les forcer à rejoindre une grève.

Les deux syndicats ont nié être derrière les manifestations meurtrières de la mine de Marikana, exploitée par le groupe Lonmin. Selon l'ISS, la grève a été lancée par des intérimaires, non syndiqués.

Mais le chef de file de l'AMCU, Joseph Mathunjwa, a fait irruption, accompagné d'un groupe de chanteurs de louanges, dans un service commémoratif organisé pour les victimes de Marikana, et en a profité pour haranguer la foule.

Et certaines des chansons chantées pendant les violentes manifestations organisées sur une colline proche de la mine étaient anti-NUM.

«Il est très difficile de construire une solidarité très forte entre les travailleurs.... La violence devient un outil pour obtenir la solidarité des travailleurs», observe Crispen Chinguno, chercheur à l'Université du Witwatersrand de Johannesburg.

La violence est, selon lui, intimement liée à l'ordre social post-apartheid, avec des syndicats forts hérités de la lutte contre le pouvoir blanc qui sont «secrètement hostiles à la concurrence».

De nombreux travailleurs, dont beaucoup ne sont pas qualifiés, se sont ouvertement tournés vers l'AMCU, dont les méthodes sont généralement décrites comme les plus violentes.

«J'ai cessé d'être un membre du NUM parce que (...) tous les jours, quand nous sommes en grève comme ça, ils nous disent juste de retourner au travail, sans raison, sans aucune réponse qui puisse nous satisfaire», témoigne Joseph Motingwe, passé à l'AMCU il y a trois ans.

La croyance en la magie noire, le «juju», s'est également enracinée, et serait en partie responsable de la défiance des grévistes de Marikana, qui n'ont pas hésité à affronter des forces de l'ordre puissamment armées.

Les médias locaux ont évoqué une vidéo prise par un hélicoptère de la police, montrant des hommes nus faisant la queue pour être enduits d'herbes censées les protéger des balles. 34 d'entre eux sont morts, le 16 août, quand les policiers ont tiré.

«L'utilisation de "mutis" (talismans) est devenue institutionnalisée dans tout ce qu'ils (les syndicats) font», note Crispen Chinguno.

Les 17 000 mineurs d'Impala Platinum croient qu'ils ont retrouvé leur emploi grâce au «juju», ajoute le chercheur.