Assise à une table, dans un bar décrépit des faubourgs de Kampala, Stella Kobusingye - un pseudonyme, à sa demande - a les yeux vides quand elle raconte le cauchemar qu'elle a vécu en Asie.

S'occupant difficilement d'un jeune fils et d'une mère malade avec les maigres revenus de son petit magasin, Stella entend un jour parler par un ami d'un emploi dans une boutique tenue par un Ougandais en Malaisie, payé 800 dollars par mois.

Après avoir vérifié que l'emploi existe bien, elle vend son magasin, se fait établir un passeport et achète un visa pour la Chine, par laquelle des intermédiaires, qui lui remettent un billet d'avion, lui affirment qu'elle doit transiter.

À son arrivée en Chine, elle est accueillie par une Ougandaise, emmenée dans un hôtel où elle découvre des dizaines d'autres jeunes compatriotes. On lui annonce qu'elle doit rembourser 7000 $, prix de son voyage.

«Il n'y avait pas de travail là-bas, ils m'avaient menti. La seule raison pour laquelle ils m'avaient emmenée là-bas, c'est pour la prostitution», explique-t-elle.

Cette nuit-là, un Nigérian frappe à sa porte et lui dit qu'il a payé pour avoir un rapport sexuel avec elle. Gardée prisonnière dans sa chambre d'hôtel, privée de passeport, Stella est contrainte, parfois brutalement, de coucher avec jusqu'à cinq Nigérians chaque nuit.

Ses geôliers l'emmènent chez un sorcier ougandais, qui lui coupe des ongles et des poils pubiens et s'en sert pour des rituels censés lui valoir le mauvais sort si elle rompt le silence.

Le parcours de Stella est emblématique de celui d'un nombre croissant de jeunes Ougandaises contraintes de se prostituer après avoir été frauduleusement attirées à l'étranger, principalement au Moyen-Orient et en Extrême-Orient.

Alors que le pays connaît un chômage massif et que les emplois sont rares, des affichettes dans les centres commerciaux autour de Kampala proposent des emplois bien payés ou des études à l'étranger.

Il est impossible de dire combien d'Ougandaises ont été victimes de ce trafic, mais les responsables estiment que 600 d'entre elles sont contraintes à se prostituer rien qu'en Malaisie, un pays où elles peuvent entrer sans visa.

Au cours d'un récent séjour à Kampala, Hajah Noraihan, consule honoraire d'Ouganda en Malaisie, a montré une série de photos terrifiantes quant au sort des filles qui refusent la prostitution: celle du visage d'une jeune fille jetée du troisième étage, celle du corps d'une autre, assassinée, gisant sur le sol d'une chambre.

Des réseaux très organisés

Au cours des deux dernières années, au moins trois jeunes Ougandaises ont été tuées en Malaisie, selon elle. Depuis fin 2011, la police malaisienne a commencé à sévir, et au cours d'une descente en octobre, 21 jeunes Ougandaises ont été découvertes au même endroit.

Une soixantaine sont actuellement sous la protection des autorités malaisiennes, et quatorze ont été rapatriées vers l'Ouganda au cours des quatre derniers mois, selon Mme Noraihan.

Cette dernière, originaire de Kuala Lumpur, presse les autorités ougandaises d'agir à la source du problème. «Nous devons voir des actes, pas simplement des paroles, pas simplement des rapports», insiste-t-elle.

Une pression qui semble porter ses fruits. Jusqu'ici, en dépit de quelques arrestations de suspects, les autorités ougandaises ne s'étaient pas réellement attaquées aux réseaux.

Depuis peu, des responsables de l'immigration, de la police ou de la présidence se rencontrent à ce sujet et un groupe de députés demande à aller enquêter en Malaisie.

Mais ils font face à des réseaux de trafiquants très bien organisés, estime Asan Kasingye, directeur du bureau d'Interpol à Kampala.

«Au lieu de prendre dix filles, ils vont en prendre une par semaine, et si à l'aéroport l'une d'elle va en Malaisie, elle aura des documents disant qu'elle part pour des études», explique M. Kasingye.

L'Ouganda n'est qu'un pays parmi d'autres en Afrique sub-saharienne touchés par ce trafic d'êtres humains.

Stella, elle, a finalement pu rentrer chez elle, mais elle restera marquée à vie. Après avoir tenté de trouver un moyen de fuir la Chine, ses ravisseurs l'ont mise dans un avion pour la Malaisie, où elle devait être récupérée. Mais à l'aéroport de Kuala Lumpur, elle a été arrêtée par les responsables de l'immigration. Durant ses plusieurs mois de détention, elle a fait une fausse couche. Et a apprit qu'elle était séropositive.

«Je veux retrouver ces gens et les faire mettre en prison pour le reste de leur vie, parce qu'à cause d'eux, je suis malade. Mais je dois aussi prendre soin de mon fils et de ma mère», dit-elle.