Ébranlé par des violences postélectorales qui ont fait plus de 1100 morts en 2007 et en 2008, le Kenya a travaillé d'arrache-pied au cours des dernières années pour redorer son image de destination plage et safari. Et avec un certain succès. Jusqu'à ce qu'un meurtre et deux enlèvements dans le district idyllique de Lamu menacent d'anéantir les gains des dernières années.

Le bout du monde. Le paradis. Ces deux images surgissent invariablement dans la tête de ceux qui débarquent -obligatoirement en bateau- dans l'archipel de Lamu, au nord-est du Kenya. Pas de voiture ici. Que des ânes. Des piétons souriants. Et des bateaux à voile qui se balancent doucement dans l'océan Indien. Dans ce décor de carte postale, on oublie très facilement qu'on se trouve à moins de 150 km de la Somalie.

Depuis le mois dernier cependant, le conflit, la piraterie et le chaos qui sévissent dans le pays voisin ont atteint les plages tranquilles du district de Lamu.

À la mi-septembre, un homme d'affaires anglais, David Tebbutt et sa femme Judith qui séjournaient dans le très luxueux Safari Village de Kiwayu, un des lieux de villégiature préférés de Mick Jagger, ont été la cible d'une attaque. M. Tebbutt a été tué par balle alors que sa femme Judith a été enlevée et amenée en Somalie. Les rebelles islamistes somaliens shebab, d'abord soupçonnés, ont nié être liés à l'attentat. Des pirates somaliens et des complices kényans seraient derrière le crime. À ce jour, on ignore où se trouve Mme Tebbutt et si elle est en vie.

Cette première attaque a ébranlé l'industrie touristique de Lamu, mais les propriétaires d'hôtel et de stations balnéaires de grand luxe pensaient s'en tirer à bon compte. Kiwayu, le lieu de l'enlèvement, est l'endroit de villégiature le plus reculé du district et n'attirait qu'une poignée de vacanciers richissimes. Le couple Tebutt était seul au Safari Village, qui demandait près de 1000$ la nuit à ses clients en promettant un isolement presque parfait.

Mais un deuxième enlèvement, cette fois perpétré dans l'île de Manda, a ébranlé encore davantage l'industrie touristique de Lamu et principalement de l'île de Lamu, la plus visitée du lot, qui se trouve à tout juste à 10 minutes de bateau de l'île de Manda. Samedi dernier, une Française de 63 ans, Marie Dedieu, confinée à un fauteuil roulant, a été kidnappée par une dizaine d'hommes armés à son domicile. Les ravisseurs ont mis plusieurs heures avant de rejoindre les eaux somaliennes avec leur victime. Les autorités kényanes, qui ont tardé à réagir, se sont attiré une tonne de critiques. Ces dernières avaient promis de mettre en place des mesures de sécurité additionnelles. «Mais il semble que tout ce que les policiers ont fait est d'arrêter tous les autobus qui se rendaient à Lamu pour soutirer des pots-de-vin», remarque Mohammed, un chauffeur de taxi, qui a dû payer plusieurs milliers de shillings kényans pour continuer son chemin.

Saison à l'eau

Résultat de ces deux rapts et des lacunes dans la réponse kényane: la plupart des pays occidentaux, dont le Canada, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, demandent à leurs citoyens d'éviter de se rendre dans tout le district de Lamu. Du coup, la saison touristique de Lamu, qui bat habituellement son plein à ce temps-ci de l'année, est à l'eau. Les terrasses qui vendent du poisson grillé et de la langouste sont vides. Idem pour la plupart des hôtels qui se trouvent à Lamu ou à Sheila, bourgade fréquentée par Caroline de Monaco et Jude Law.

«Après le premier kidnapping, j'ai perdu 50% de mes réservations pour les prochains mois. Je trouvais la réponse des voyageurs à un crime isolé un peu déraisonnable. Mais le deuxième incident est arrivé juste à côté. Je suis en train de perdre toutes mes réservations», a dit à La Presse un hôtelier de l'île de Lamu qui préférait garder l'anonymat.

La situation est généralisée dans toute l'île, qui vit presque uniquement du tourisme et de l'agriculture. Au Lamu house, un des hôtels de luxe situés au bord de l'océan, le propriétaire s'est vu obliger de mettre à pied la moitié de son personnel. «Moi, je garde mon travail, mais on m'a demandé de prendre deux semaines de congé. Il ne reste plus personne à Lamu», dit Betty, la chef du restaurant du Lamu House.

Malgré la récidive des kidnappeurs, les résidants de Lamu pensent que la réaction des gouvernements étrangers et des voyageurs est excessive. «Lamu est toujours le paradis sur terre. Deux enlèvements ne peuvent pas changer ça. Les gens vont vite revenir», dit Omari, un guide touristique qui connaît toutes les petites rues tortueuses de l'île principale. Il espère maintenant que les célébrations de l'anniversaire du prophète Mahomet le mois prochain vont convaincre les voyageurs de revenir au paradis. Et les pirates d'en rester loin.