La France a affirmé vendredi que sa politique ne serait pas dictée de «l'extérieur», en réaction aux exigences d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) qui détient cinq otages français au nord du Mali et a demandé à Paris de négocier directement avec Oussama ben Laden.

«La France fait tout ce qui est en son pouvoir pour que tous les otages, où qu'ils soient, soient libérés sains et saufs», a déclaré la nouvelle chef de la diplomatie française, Michèle Alliot-Marie. Elle «ne peut accepter que sa politique soit dictée de l'extérieur par qui que ce soit», a-t-elle assuré.

La chaîne de télévision du Qatar Al-Jazira a diffusé jeudi soir un message audio du chef d'AQMI, l'Algérien Abdelmalek Droukdel, dans lequel il exige que la France retire ses troupes d'Afghanistan.

«Toute forme de négociation sur ce sujet à l'avenir sera conduite avec personne d'autre que notre Cheikh Oussama ben Laden (...) et selon ses conditions», déclare le dirigeant d'AQMI.

«(Si vous) voulez que vos citoyens qui sont prisonniers chez nous soient sains et saufs, alors vous devez vous dépêcher et retirer vos soldats d'Afghanistan selon un calendrier précis que vous rendrez public», ajoute Abdelmalek Droukdel, selon une retranscription effectuée par le centre américain de surveillance des sites islamistes SITE.

Ce message d'AQMI est adressé à la France au moment où un retrait graduel des forces déployées dans ce pays est au menu d'un sommet de l'OTAN qui s'ouvre vendredi à Lisbonne. La France a déployé quelque 3800 hommes en Afghanistan.

En dépit des déclarations de Michèle Alliot-Marie, la France n'avait pas formellement authentifié vendredi matin le message d'AQMI. «Les processus habituels de reconnaissance de l'émetteur sont en cours», a indiqué à l'AFP le porte-parole du ministère de la Défense, Laurent Teisseire.

Les cinq Français séquestrés ont été enlevés dans la nuit du 15 au 16 septembre sur le site d'une mine d'uranium du groupe nucléaire français Areva à Arlit, dans le nord du Niger, en même temps qu'un Malgache et un Togolais. Il s'agit de salariés d'Areva et de l'un de ses sous-traitants, Satom (groupe Vinci).

Selon des sources maliennes et françaises, les otages sont détenus dans des collines désertiques du Timétrine, dans le nord-est du Mali, frontalier de l'Algérie.

Le président français Nicolas Sarkozy s'était dit mardi «spécialement inquiet» pour ces otages. «Mais nous ne changerons pas d'un iota notre politique sous prétexte que nous sommes menacés», avait-il martelé, demandant aux Français de ne pas se rendre dans la bande sahélienne où opère AQMI.

Oussama ben Laden avait averti fin octobre, également dans un message audio, que la France ne connaîtrait pas la sécurité tant qu'elle ne retirerait pas ses troupes d'Afghanistan et ne mettrait pas un terme à «ses injustices» à l'égard des musulmans, comme l'interdiction du port du voile islamique intégral.

Ce message audio de Ben Laden avait été interprété par les experts comme une «reconnaissance» donnée à AQMI, dont les responsables ont fait allégeance à Al-Qaïda début 2007 et qui a revendiqué le 21 septembre l'enlèvement des Français.

AQMI, qui a multiplié les enlèvements d'Occidentaux ces dernières années, avait annoncé en juillet l'exécution d'un otage français, l'humanitaire Michel Germaneau, dont le corps n'a jamais été retrouvé.

Le nouveau ministre français de la Défense, Alain Juppé, avait indiqué mercredi qu'il y avait «toutes les raisons de penser» que les otages français étaient tous vivants, assurant qu'il existait des «contacts» avec les ravisseurs.

AQMI officialise son entrée au sein d'Al-Qaïda

En renvoyant Paris à Oussama ben Laden pour négocier le sort des otages du Sahel, le chef d'Aqmi parachève l'entrée de son groupe dans le «djihad global», ce qui est de mauvais augure pour les captifs français, expliquent des experts.

Après les menaces directes contre la France et ses otages détenus au Sahel, proférées le 27 octobre par le chef d'Al-Qaïda, il fallait s'attendre à une réponse d'Abdelmalek Droukdel, émir d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), et son communiqué audio diffusé jeudi par Al-Jazira confirme le pire des scénarios, estiment les milieux antiterroristes français.

Les conditions posées (négociations directes avec Ben Laden pour le sort des otages et retrait de l'armée française d'Afghanistan) sont tellement exorbitantes qu'elles laissent présager d'une longue détention dans le désert pour les cinq Français kidnappés en septembre au Niger, craignent les mêmes sources.

«Négocier avec ben Laden, cela ne veut rien dire: il n'y a pas de canal de négociation possible, on ne connaît absolument aucun intermédiaire», commente Dominique Thomas, spécialiste des réseaux djihadistes à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

«En fait, cela veut dire: «Répondez aux exigences de Ben Laden, sur l'Afghanistan et la burqa, et après on verra»», ajoute-t-il. «La barre a été placée très haut, et c'est inquiétant pour les otages. Cela signifie que Droukdel a pris le dossier en main et qu'aucun arrangement local au Sahel, via les intermédiaires habituels comme les chefs tribaux ou touaregs, avec échange d'argent et éventuellement libération de prisonniers n'est plus possible. Cela a changé de niveau».

Lors de prises d'otages précédentes par AQMI, comme par exemple celle du Français Pierre Camatte, détenu trois mois dans le désert fin 2009/début 2010, des tractations avaient pu être entamées localement et sa libération obtenue.

«En octobre, Ben Laden disait à AQMI: «Si vous voulez vous appeler Al-Qaïda et jouer dans la cour des grands, il va falloir le prouver». Et ceci est la réponse de Droukdel: «Voilà, on a compris»», poursuit Dominique Thomas.

Pour Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris et auteur notamment des Neuf vies d'Al Qaïda, le message d'Abdelmalek Droukdel «révèle une intégration encore plus accrue d'AQMI dans le djihad global, ainsi que son acceptation publique des instructions en provenance de la direction d'Al-Qaïda».

«Cette globalisation spectaculaire des djihadistes algériens peut signifier soit un transfert d'autorité de Droukdel vers Ben Laden (...), soit cela peut être une manoeuvre par laquelle Droukdel cherche à couvrir des tractations en cours, tout en donnant le change auprès de Ben Laden et de ses partisans les plus inconditionnels au sein d'AQMI».

Mais ce message, ajoute M. Filiu, «en posant publiquement une exigence inacceptable et en se défaussant sur Ben Laden de la relation avec la France, vise peut-être juste à gagner du temps, Droukdel estimant que le moment n'est pas venu pour des négociations sérieuses sur le sort des otages».

Dans tous les cas, estiment les sources interrogées vendredi par l'AFP, cela ne présage rien de bon pour les otages français du Sahel, détenus dans des conditions difficiles et qui ont très certainement été séparés les uns des autres afin d'empêcher toute opération militaire pour tenter de les libérer.