La très petite histoire américaine doit à Peter Smith le Troopergate. Ce riche banquier de Chicago, bailleur de fonds et tireur de ficelles républicain, a orchestré en 1992 les révélations de quatre policiers de l'État d'Arkansas à un magazine conservateur selon lesquelles ils étaient chargés de trouver des femmes pour assouvir les appétits sexuels de Bill Clinton à l'époque où il était gouverneur. Le journaliste qui a recueilli ces révélations, David Brock, a plus tard émis des doutes sur leur véracité.

Smith est de retour dans l'actualité. Selon un article du Wall Street Journal publié jeudi, il a mis sur pied un groupe avant l'élection présidentielle de 2016 dont la mission était d'obtenir quelque 33 000 courriels d'Hillary Clinton dont il était persuadé qu'ils étaient en possession de pirates informatiques russes.

Ces courriels avaient été écrits ou reçus par Clinton à l'époque où elle était secrétaire d'État. Elle ne les avait pas remis au département d'État mais détruits au prétexte qu'ils étaient de nature personnelle. Smith et plusieurs républicains, dont Donald Trump, n'en croyaient rien.

Selon le Journal, Smith et son groupe sont entrés en contacts avec cinq groupes de hackers prétendant posséder les courriels de Clinton, dont deux groupes russes. Dans des échanges de courriels avec des membres de sa propre équipe, Smith a déclaré que Michael Flynn, futur conseiller à la sécurité nationale, et sa boîte de conseil étaient «des alliés dans cette quête».

Dans une entrevue au Journal, Smith a reconnu avoir obtenu des courriels attribués à Hillary Clinton. Il les a refilés à WikiLeaks, qui ne les a pas publiés. Il semble que personne n'ait été en mesure de les authentifier. Smith a insisté pour dire que son groupe avait oeuvré de façon indépendante de la campagne de Donald Trump.

Peter Smith est mort dix jours après avoir parlé au Wall Street Journal. Il avait 81 ans. Le Journal ne donne pas de détails sur les circonstances de sa mort. On devine les théories de complot que la droite américaine aurait échafaudées si toute cette histoire concernait des démocrates.

Mais cette histoire n'est pas terminée. Dans son article, le Journal affirme que les services de renseignement américains ont appris que des agents russes ont discuté entre eux de la façon de transmettre des courriels piratés à Michael Flynn par l'entremise d'un intermédiaire.

Ce détail a incité Matt Tait à déballer son sac hier soir sur le Lawfareblog. Spécialiste de la cybersécurité, cet ancien analyste du renseignement britannique a été recruté pour faire partie du groupe de Smith. Sa mission était d'authentifier les courriels que le groupe tentait d'obtenir. Au moment de quitter le groupe, il a refusé de signer un document l'enjoignant au silence sur ses activités.

Tait raconte que ses conversations avec Smith l'ont convaincu que celui-ci travaillait étroitement avec Michael Flynn et son fils, et que le banquier avait obtenu auprès d'eux de riches détails sur l'étrange climat qui régnait au sein de la campagne de Donald Trump.

Tait affirme aussi avoir été estomaqué par l'indifférence manifestée par Smith face la possibilité d'obtenir des courriels piratés par des agents employés par le gouvernement russe alors même que celui-ci tentait d'influencer la campagne présidentielle. Il dit en outre que Smith lui a remis un document de recrutement contenant non seulement le nom de Michael Flynn mais également ceux de trois membres actuels de l'administration Trump, dont Steve Bannon et Kellyanne Conway.

Dans un article du Wall Street Journal publié hier soir, Bannon et Conway nient avoir travaillé avec Smith.

Les articles du Wall Street Journal et le témoignage de Tait, aussi fascinants soient-ils, ne prouvent pas qu'il y a eu collusion entre la campagne de Donald Trump et les Russes. Mais ils présentent des pistes que ne manqueront pas d'explorer les médias et les enquêteurs du procureur spécial Robert Mueller.

Ils expliquent aussi peut-être pourquoi Donald Trump tenait tant à garder Michael Flynn dans son giron, même si son prédécesseur lui avait conseillé de ne pas lui offrir de poste, et pourquoi il a tenté de convaincre l'ancien directeur du FBI James Comey d'abandonner son enquête sur ancien conseiller à la sécurité nationale.

Donald Trump n'était peut-être pas au courant des efforts de Peter Smith et son groupe. Mais qui peut oublier son appel du 27 juillet 2016 aux Russes de pirater la messagerie d'Hillary Clinton et de publier «les 30 000 courriels manquants»?

C'était peut-être plus qu'une blague. C'était peut-être un appel clair à la collusion entre une campagne présidentielle américaine et le gouvernement russe.