Naître fille au Zimbabwe commence souvent, encore aujourd'hui, par une déception. «Les parents préfèrent les garçons aux filles», dit Betty Makoni. Même si les mentalités changent, les filles quittent plus souvent l'école et leurs droits sont plus souvent bafoués que ceux des garçons.

Que faire pour renverser la tendance? Miser sur la force du groupe, croit Betty Makoni. Et il faut commencer dès l'enfance. Depuis 10 ans, la fondatrice du Girl Child Network (GCN), qui donnera une conférence ce soir à Montréal à l'invitation de l'organisme 60 millions de filles, crée des clubs de filles pour briser leur isolement et prendre leur vie en main. Betty Makoni elle-même n'a pas eu une enfance insouciante. Violée à l'âge de 6 ans, orpheline de mère à 9 ans - sa mère était victime de violence conjugale -, elle a vu, consternée, d'autres filles être abusées et violentées quand elle est devenue enseignante dans une école secondaire. «J'ai réalisé que rien n'avait changé. Au début de l'année, il y avait 50 filles. À la fin, il n'y en avait plus que deux», raconte Mme Makoni dans une entrevue téléphonique.

Privées d'école parce que, bien souvent, elles doivent s'occuper d'un proche atteint du sida, ces filles se coupent aussi d'un réseau social, a constaté Mme Makoni. C'est ainsi qu'elle a fondé son premier club de filles en 1998. Les neuf premières membres ont échangé expériences et solutions pour mieux s'entraider. Le Girl Child Network était né. L'idée a fait des petits: aujourd'hui, quelque 500 clubs sont disséminés au Zimbabwe et rejoignent 30 000 filles, selon le GCN.

De quoi discutent les filles dans leurs clubs? Elles brisent le silence, notamment pour dénoncer les viols et la violence dont elles sont l'objet. Elles sont aussi informées de leurs droits. «La mentalité selon laquelle les filles n'ont pas besoin d'aller à l'école a changé, dit Betty Makoni. Au moins, elles peuvent apprendre à lire. Nos mères ne lisaient pas. Une fille peut désormais dénoncer un abus. Avant, il n'existait pas d'organisme à qui en parler, qui s'occupait de ces cas.»

Le viol est une arme de terreur commune dans son pays. «Dans les 15 dernières années, j'ai traité plus de 70000 cas. Les victimes sont souvent infectées par le VIH», dit Mme Makoni.

Mais les autorités, selon Mme Makoni, ne prennent pas les mesures nécessaires pour punir les viols. «Les lois, ce n'est qu'un bout de papier, le gouvernement ne les appliquent pas. Parfois, lorsqu'on leur rapporte un cas d'abus, les autorités finissent par arrêter la victime et pas l'auteur. C'est quelque chose qui nous choque. Alors, non, le soutien n'est pas celui qu'on aimerait avoir.»

Envers et contre tous?

Betty Makoni est l'une des 10 candidates au concours du Héros de l'année 2009 du réseau de télévision américain CNN, dont le résultat sera connu la semaine prochaine. Mais cet honneur ne plaît pas à tous, dit-elle. «Il y a une campagne contre moi au Zimbabwe.»

«J'ai reçu des menaces parce j'ai dénoncé des viols commis par une personne influente. Ma vie était en danger.» C'est pour cette raison, dit-elle, qu'elle a été forcée de quitter le Zimbabwe et la direction du GCN. Elle partage maintenant sa vie entre le Botswana et l'Angleterre, où vit sa famille.

Selon elle, le gouvernement de Robert Mugabe ne ménage aucun effort pour discréditer son travail. Elle accuse le gouvernement d'avoir trompé Oxfam Novib, un des donateurs du GCN (voir autre texte). «Je les connais. Ils utilisent des agents secrets. C'est ce qui a pu arriver à Oxfam Novib. Ils ont mis un agent secret dans l'organisme et recueilli de l'information pour dire à Oxfam que leurs fonds ont été mal utilisés.»