Marc-André Grondin vient de tourner coup sur coup en France le téléfilm Les cerfs-volants, de Jérôme Cornuau, et les longs métrages Bouquet final, de Michel Delgado, et Le premier jour du reste de ta vie, de Rémi Bezançon, qui prend l'affiche la semaine prochaine au Québec. Ce film a connu un beau succès en France, où l'acteur québécois commence à faire partie de la famille. La Presse a rencontré Marc-André Grondin et Rémi Bezançon lors du récent Festival du nouveau cinéma.

«Tu vas pas nous demander si Le premier jour ressemble à C.R.A.Z.Y.?» ironise Grondin, en début d'entrevue. Façon, pour le comédien, de souligner à quel point certaines questions très québécoises reviennent plus souvent que d'autres. Négatif : on entraîne, à la blague, le comédien et le réalisateur sur un sujet tout aussi récurrent : l'accent de Marc-André Grondin.
«Un accent non seulement français, mais parisien», précise Rémi Bezançon. Logique, puisque Le premier jour du reste de ta vie suit les tribulations d'une famille française, et que Grondin y joue Raphaël, le fils de Jacques Gamblin et de Zabou Breitman. Grand gamin sympathique et un peu immature, Raphaël a un haut débit de paroles. « Ça contraste avec le côté très lent de son corps», plaisante Grondin.

Pressenti d'abord pour un rôle secondaire, Marc-André Grondin a pu camper Raphaël en «perdant» son accent québécois. C'est la directrice de casting de Rémi Bezançon qui avait conseillé au réalisateur de parler à Marc-André Grondin. «J'aime montrer des nouvelles gueules, pas bosser avec les mêmes. Ça commence à me soûler, aussi, de voir toujours les mêmes au cinéma en France!» dit Bezançon.

En un an à Paris, Grondin a tourné un téléfilm et deux longs métrages. Et ce n'est pas tout, découvre-t-on en entrevue. « T'as vu Paris (de Cédric Klapisch)? Je devais jouer dans ce film le copain de Mélanie Laurent. Le scénario original avait quatre personnages de plus. Un mois avant le début du tournage, il y a eu un problème de financement. Ils ont dû faire des coupes dans le scénario et dans les personnages. C'est dommage : se faire payer, prendre l'avion pour aller rouler des pelles à Mélanie Laurent...» rit-il.

En France, le comédien semble s'installer, petit à petit, dans un créneau délaissé - passage du temps oblige - par ses pairs français (Garrel, Uliel, Leprince-Ringuet), et occupé à ses débuts par Romain Duris. « J'ai déjà entendu ça. Mon agent, je crois, disait que j'étais un mélange de Vincent Cassel et de Romain Duris... Il voulait me vendre! Mais c'est vrai que c'est Duris qui devait jouer dans Le caméléon, il y a quelques années», admet-il.

Discours flatteur d'agent ou pas, Marc-André Grondin semble avoir de belles occasions de travail devant lui en France.

Le film de famille


Dans Le premier jour du reste de ta vie, Raphaël-Marc-André Grondin a un frère aîné, Albert (Pio Marmaï), et une petite soeur, Fleur (Déborah François). La vie de la fratrie et celle de leurs parents, Marie-Jeanne (Zabou Breitman) et Robert (Jacques Gamblin), est racontée sur 12 ans, et ce, par le truchement de cinq journées décisives dans leurs vies.

« L'idée, c'est déjà de faire un film sur le temps qui passe. Et pour parler du temps, la famille est un beau support. Et ensuite, faire une saga familiale sur cinq journées particulières, je crois que c'est une façon originale de parler de sa famille. C'est le paradoxe de faire une saga familiale, juste en cinq journées», dit Rémi Bezançon.

Il n'y a pas grand drame dans la vie de cette famille française. Seulement le départ du fils aîné, l'amour platonique de Raphaël, les rapports parents-enfants faits d'amour et de haine, la maladie, le mariage. « C'est une famille super normale. Je n'avais pas envie de parler de grandes névroses», explique Rémi Bezançon.

« Souvent dans le cinéma français, et je pense notamment à Un conte de Noël, d'Arnaud Desplechins, un film très bien par ailleurs, on vit des drames, des trucs très lourds : une mère dit à son fils qu'elle ne l'aime pas», dit-il.

Le portrait de la famille Duval a suscité tant la bienveillance critique que l'adhésion du public lors de sa sortie en France, cet été. « Le film a bien marché : il a fait 1,2 million d'entrées», dit Grondin. « C'est assez énorme, quand même : c'est le sixième succès de l'année», remarque Bezançon.

De l'art de la comédie en France

La raison du succès, croit le réalisateur, tient au caractère hybride et atypique de son film : un scénario de comédie qui assume ses moments de tristesse, une réalisation soignée. « En France, c'est compliqué. Il y a beaucoup de comédies très populaires. Ou alors des films d'auteur, très auteur», dit Rémi Bezançon.

« J'avais une exigence d'écriture. J'ai mis un an à l'écrire. Ensuite, j'avais une exigence de mise en scène. « Comme pour sa première réalisation (la comédie romantique Ma vie en l'air, avec Marion Cotillard et Vincent Elbaz, inédite ici), Rémi Bezançon a exigé un story-board, au grand étonnement de ses producteurs. « C'est bizarre, quand même! C'est comme si on dit, on s'en fout, c'est une comédie, on va faire rire, on n'a pas besoin de beaux plans.»

Marc-André Grondin ajoute : « Il y a un truc en France qui m'énerve, c'est que tu as soit des films avec un scénario incroyable, avec une facture visuelle de merde. Ou une super facture, et un scénario de merde. On essaie souvent de répéter la nouvelle vague. Mais dans les films marquants en France ces 25 dernières années, t'as quoi?»

Grondin évoque La haine, de Mathieu Kassovitz; Bezançon, Nikita, de Luc Besson. « Quand il a fait Nikita, Luc Besson a ouvert des portes qui n'avaient jamais été ouvertes en France. Je lui en suis reconnaissant, même si j'aime beaucoup moins ce qu'il fait aujourd'hui.»
De ses goûts cinématographiques, Rémi Bezançon affirme, tranché, « hérétique» presque : « Je sais que c'est une hérésie de dire ça, mais Truffaut me gonfle, Godard me gonfle aussi. Ça a très mal vieilli, je trouve.» Du côté de l'Hexagone, il se prononce pour Claude Sautet. Du côté de l'Oncle Sam, ce serait plutôt les frères Coen, Paul Thomas Anderson ou encore Wes Anderson.

C'est d'ailleurs au célèbre The Royal Tenenbaums de Wes Anderson que Rémi Bezançon comparerait volontiers son film. «Pourquoi mon film ne ressemblerait pas plus à The Royal Tenenbaums qu'à C.R.A.Z.Y.? Le thème lui ressemble plus, dit-il. Mais voilà, il y a Marc-André Grondin et on est au Québec.»

Il n'y a qu'au Québec que le distributeur (Séville) a pris soin d'encadrer le nom de Marc-André Grondin sur l'affiche du film. C'est au Québec, aussi, que Marc-André Grondin tourne son prochain film, -5150, rue des Ormes, d'Éric Tessier. Voit-il des différences, aujourd'hui, entre les plateaux français et québécois?

« Ça dépend des films. Le premier jour et Bouquet final ont été des plateaux complètement différents! Premier jour, au Québec, aurait été tourné avec quoi, cinq jours de moins? Je ne me suis pas trouvé complètement dépaysé. Alors que Bouquet final, on a tourné sur deux mois et demi; il y avait du budget, des poids lourds, comme Galabru, Depardieu et Bourdon.
« En fait, j'ai rajouté une corde à mon arc, conclut Marc-André Grondin. C'est comme si j'avais passé un an à marcher avec des talons hauts et que maintenant, je reviens dans mes vieux souliers, à Montréal. C'est ce que je connais, et ce dans quoi je me sens bien.»