La documentariste d'origine californienne Bobbi Jo Hart présente à Excentris le fruit de son travail des huit dernières années. Huit ans pendant lesquels elle a suivi la pianiste montréalaise Marika Bournaki, filmée de l'âge de 12 à 20 ans. Résultat: un portrait fascinant de cet enfant prodige, mais aussi du coût humain à payer pour atteindre le sommet.

L'idée de ce film a germé dans la tête de Bobbi Jo Hart après avoir réalisé un documentaire sur le tennis féminin en 2003. Dans She Got Game, la cinéaste américaine - établie à Montréal depuis une quinzaine d'années - y suivait la Canadienne Sonya Jeyaseelan, qui faisait alors partie du top 50. «J'ai suivi cette fille pendant environ deux ans. Je voulais montrer la vie en dehors du terrain. Une vie exigeante, qui commence à un très jeune âge et qui est beaucoup moins glamour qu'on pourrait le croire.»

Quand elle a lu un article évoquant le succès de la jeune pianiste montréalaise de 12 ans Marika Bournaki, elle s'est dit: «Je veux la suivre!» Après avoir pris contact avec les parents de la fillette, le projet a démarré. Bobbi Jo Hart l'a filmée chez elle, dans sa résidence de Westmount, à New York, où elle a fréquenté la célèbre école de musique Juilliard. Dans des concours, sur la route aussi. Bref, elle a accumulé 140 heures d'enregistrement!

«J'étais curieuse de voir comment se vivait au quotidien la formation d'une pianiste, pour montrer tout ce qu'on ne voit pas sur scène. Je ne savais absolument pas comment allait évoluer le projet. Quelle en serait l'issue. Mais je voulais suivre cette fillette, qui se préparait à une carrière de pianiste de concert.» Au départ, elle pensait la suivre jusqu'à l'International Chopin Piano Competition, un événement qui a lieu tous les quatre ans en Pologne. Mais Marika a décidé de ne pas participer à la compétition.



Son père, Pierre Bournaki, ex-violoniste, est au centre du documentaire. Lui aussi a étudié à Juilliard en son temps, mais il a abandonné sa carrière de musicien au profit d'un emploi dans le monde financier. C'est lui qui accompagne Marika dans ses déplacements, lui qui gère sa formation et sa carrière en devenir. Lui qui la calme aussi dans ses emportements et ses caprices. Mais impossible de ne pas poser la question: est-ce que le rêve de Marika est le rêve de son père?

«C'est une très bonne question et ça fait partie des zones grises que j'explore dans le documentaire, répond Bobbi Jo Hart. Il lui a clairement transmis sa passion pour la musique. Mais c'est aux spectateurs de décider. En même temps, après avoir suivi Marika pendant huit ans, je peux vous dire que c'était son rêve à elle aussi. Malgré les creux, malgré les doutes. Et puis, quels que soient les facteurs externes, il faut avoir du talent pour jouer à 9 ans avec l'OSM, à 10 ans à Carnegie Hall...»

On le voit bien dans le document, Marika Bournaki est déterminée et fougueuse, mais elle est aussi impétueuse. De la petite fille docile de 12 ans qu'elle est au début du tournage, on la voit se transformer en adolescente parfois rebelle, qui s'empoigne à l'occasion avec son père et se demande certains jours pourquoi elle consacre sa vie au piano. «Life gets in the way, that's the problem», dit-elle à un moment. Pendant le tournage, alors que Marika a 17 ans, ses parents décident de se séparer.

«Ç'a été un moment difficile, explique Bobbi Jo. Mais ça montrait bien l'impact que le piano pouvait avoir sur la vie d'une famille.» Dans une entrevue, la mère de Marika explique sa rupture avec Pierre Bournaki. «S'il allait voir un concert, il achetait deux billets. Pour lui et pour Marika. Moi, je restais à la maison avec nos deux autres enfants... Je ne veux pas dire que Marika a pris ma place, simplement que le piano a pris, malgré nous, beaucoup d'espace.»

Les dernières images de Bobbi Jo Hart nous montrent une jeune femme beaucoup plus calme et mûre que pendant son adolescence. Mais toujours aussi déterminée à poursuivre sa carrière de pianiste, malgré (et peut-être à cause) de tous les pots cassés.

Le rêve de Marika, à Excentris jusqu'au 1er novembre. Il sera diffusé sur ARTV dans les prochaines semaines.

Photo archives La Presse

Marika Bournaki en 2004.