Dix ans après son dernier film, le réalisateur hongkongais Wong Kar-wai se tourne maintenant vers la télévision. Fan Hua, sa série en 30 épisodes sur l’ascension financière de Shanghai dans les années 1990, a fait un malheur en Chine au début de l’année.

Nouvelle série

Juste avant la pandémie, Wong Kar-wai a fait lire à John Powers les scénarios des quatre premiers épisodes d’une série télévisée appelée Fan Hua. « Depuis que nous avons écrit un livre ensemble en 2015, nous nous parlons régulièrement », dit M. Powers, critique de cinéma à Vogue et à la radio publique américaine, en entrevue téléphonique. « J’ai été surpris de ce projet de télévision, puis je me suis souvenu qu’il en avait fait au début de sa carrière à Hong Kong. J’ai été encore plus surpris de constater qu’il y avait une intrigue claire. C’est souvent un reproche qu’on lui a fait de privilégier l’aspect visuel plutôt que l’intrigue. »

La série suit trois hommes de milieux différents de Shanghai qui souffrent de la Révolution culturelle des années 1960 et 1970. Ces derniers participent ensuite à la libéralisation économique chinoise, qui culmine avec la transformation de Shanghai en Wall Street de l’empire du Milieu, avec tous les excès qui sont associés à la richesse boursière.

Pour le moment, le nom anglais de la série est Blossoms Shanghai.

Des centaines de millions de personnes ont vu la série. J’étais dans un restaurant à Los Angeles dernièrement et j’ai entendu deux Chinois en parler comme de la meilleure série qu’ils avaient jamais vue.

John Powers, critique de cinéma à Vogue et à la radio publique américaine

M. Powers a eu de nouveau des nouvelles de Wong Kar-wai à la fin du mois de janvier. « Nous ne nous sommes pas vus depuis le début de la pandémie, mais il m’a dit qu’il viendrait en février aux États-Unis. Il va me montrer une version sous-titrée de la série. »

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une femme prend la pose devant des affiches annonçant la série télévisée Blossoms Shanghai à Shanghai, en Chine.

Adaptation

Fan Hua est l’adaptation d’un roman de Jin Yucheng, publié en 2012 et écrit en dialecte de Shanghai. Dans les médias chinois, M. Jin a rapporté que Wong Kar-wai lui avait dit que son frère et sa sœur avaient eu des expériences très similaires. C’est la raison pour laquelle il a voulu l’adapter.

« Wong Kar-wai a quitté Shanghai à 5 ans avec ses parents, au début des années 1960, explique M. Powers. Quand la Révolution culturelle a frappé la Chine, son grand frère et sa grande sœur ont été coincés en Chine. Il a toujours été nostalgique de son enfance à Shanghai. »

La série est offerte en Chine en version originale en dialecte de Shanghai, mais a été doublée pour la télédiffusion nationale, selon Micky Lee, professeure de l’Université Suffolk, à Boston, parce que le gouvernement communiste veut unifier le pays par le mandarin. Le dialecte de Shanghai est aujourd’hui pratiquement disparu, selon Mme Lee.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des fans de la série Blossoms Shanghai visitent le Peace Hotel, un immeuble historique qui figure fréquemment dans la série chinoise.

Rééditions multiples

Wong Kar-wai a le projet de faire une version de Fan Hua en film, qui pourrait être présenté à Cannes en mai prochain. Il a aussi évoqué une réédition de la série. « Il a proposé d’éditer la série en fonction des commentaires des téléspectateurs chinois », explique Micky Lee, qui a publié un recueil des entrevues médiatiques du cinéaste en 2018. « Il a toujours été connu comme un maniaque de l’édition, ses films arrivaient pour la projection à la dernière minute à Hong Kong. Et il y a la fameuse histoire de 2046 à Cannes en 2004. »

La soirée de gala où 2046 devait être présenté a dû être reportée en raison de modifications de dernière minute apportées par son réalisateur. Les journalistes faisaient alors la blague que le titre du film faisait référence à son année de sortie.

Est-il donc réaliste qu’un nouveau Wong Kar-wai soit présenté à Cannes cette année ? John Powers a un petit rire quand on lui pose la question. « Il a jusqu’en mars pour s’inscrire, c’est tout ce qu’on peut dire en ce moment. »

Thelma Cot-Ogryzek, attachée de presse au Festival de Cannes, répond que « la sélection officielle ne sera annoncée que mi-avril lors de la conférence de presse annuelle ».

« Wong Kar-wai n’est jamais satisfait d’une version de ses films », rappelle Gary Bettinson, un professeur de cinéma de l’Université de Lancaster, en Angleterre, qui a publié en 2014 un livre d’analyse des films de Wong Kar-wai. « Il existe plusieurs versions de ses films. Il a même récemment annoncé qu’il rendrait disponibles toutes les prises de vues d’Ashes of Time (1994), pour que les fans puissent faire leur propre film. On appelle cela du vidding. »

L’ours de Taïwan

À l’heure de la répression à Hong Kong, est-il surprenant que Wong Kar-wai fasse sa carrière en Chine communiste ? « Il n’est plus un cinéaste de Hong Kong depuis belle lurette, dit M. Bettinson. Son dernier film, Grand Master (2013), a aussi été financé par des capitaux de la Chine continentale. »

Le seul moment où Wong Kar-wai a fait un geste politique est lorsqu’il s’est hâté pour sortir son film Happy Together avant la rétrocession de Hong Kong en juillet 1997, selon Micky Lee. « Il se doutait que le sujet homosexuel serait plus difficile sous le régime communiste. » Happy Together a gagné le prix de la mise en scène à Cannes en 1997.

Grand Master a remporté en 2013 le prix du meilleur film, le Cheval doré, au festival du film de Taïwan. Depuis, le gouvernement chinois a interdit à ses cinéastes d’y participer. Wong Kar-wai soumettra-t-il son prochain film pour un Cheval doré ? « Je suis sûr que non, dit M. Powers. Il ne m’a jamais parlé de politique. Pour moi, il est clair que face au choix de continuer à avoir beaucoup de financement en Chine pour ses films et un trophée à Taïwan, il va choisir la Chine. »

Regardez la bande-annonce de Fan Hua (avec sous-titres anglais)