La formule est presque trop facile, étant donné que la série de FX est offerte sur Disney+, mais c’est ni plus ni moins qu’à la « disneyification » du punk que procède le réalisateur Danny Boyle dans Pistol, avec des résultats qui tiennent moins de la grande télé que du téléfilm d’après-midi, irrésistiblement ridicule.

Une série parmi tant d’autres

Le critique rock américain Steven Hyden a un jour écrit, à la blague, qu’il existe tant de documentaires relatant l’histoire du punk qu’il faudrait bien tourner un documentaire relatant l’histoire des documentaires punk. Quelques exemples, ne concernant que les Sex Pistols : dans The Great Rock’n’Roll Swindle (1980), l’agent (et arriviste éhonté) Malcolm McLaren cimentait sa légende avec le concours du réalisateur Julien Temple. C’était avant que les membres survivants du groupe lui offrent leur réplique dans The Filth and the Fury en 2000. Au chapitre de la fiction, Sid and Nancy, en 1986, romançait la relation pour le moins orageuse entre la tête brûlée de mauvais bassiste qu’était Monsieur Vicieux et sa petite amie, qu’il a assassinée (Pistol n’échappe pas complètement d’ailleurs à l’écueil de l’édulcoration).

C’est donc un terreau largement labouré que pompe Danny Boyle (Slumdog Millionaire, The Beach, Trainspotting) dans cette série en six épisodes de 45 à 56 minutes, scénarisée par Craig Pearce (proche collaborateur de Baz Luhrmann) à partir de l’autobiographie du guitariste et fondateur des Pistolets libidineux, l’attachant Steve Jones.

La touche Danny Boyle

PHOTO MIYA MIZUNO, FOURNIE PAR FX

Les Sex Pistols tels que ressuscités par Danny Boyle

Avec ses extraits de vieux téléjournaux, ses cadrages obliques et son montage elliptico-épileptique, Danny Boyle tente visiblement très fort de traduire visuellement le furieux chaos du punk. Le réalisateur parvient cependant difficilement à éviter les clichés propres aux fictions portant sur la naissance d’un groupe (les premiers revers, la solidarité face à l’adversité, les rêves de grandeur), ce qu’on lui pardonnerait plus aisément si les motivations de ses personnages étaient plus limpides ou si la lecture qu’il fait des conditions dans lesquelles le punk a émergé était moins usée. L’aliénation socio-économique d’une jeunesse anglaise asphyxiée par la récession, on veut bien, mais encore ?

La série a ainsi la perspicacité historiographique d’une musicographie et la densité émotive d’un péplum (punk), les qualités essentielles d’un fast-food télévisuel étonnamment ensorcelant pour qui pareil récit rock produit le même effet apaisant que les contes de Perrault chez les enfants.

L’inévitable controverse

PHOTO MIYA MIZUNO, FOURNIE PAR FX

Les Sex Pistols s’apprêtant à présenter leur premier spectacle.

Lundi dernier, Johnny Lydon (dit Rotten) qualifiait Danny Boyle de trou du cul sur le plateau de The Morning, la matinale anglaise d’ITV – imaginez un instant ce vieux grincheux en entrevue avec Gino Chouinard et vous aurez une petite idée de cette scène improbable. Trou du cul ? Voilà ce qui a dû flatter le cinéaste, lui qui a déclaré à The Guardian en mai qu’il admirait l’indocile chanteur « pour qui il est » (c’est-à-dire un incurable bougonneux). « Je ne veux pas qu’il aime la série, je veux qu’il l’attaque, disait-il alors. C’est son droit absolu. Pourquoi changerait-il ce qui est l’habitude d’une vie ? »

En août dernier, la justice britannique tranchait en faveur de Paul Cook et de Steve Jones dans une cause les opposant à Lydon, qui souhaitait empêcher la production d’utiliser le catalogue des Pistols. Quoi qu’il en soit, Anson Boon, qui incarne le putride garnement, en restitue à merveille les moues frondeuses et les déhanchements hargneux.

Les personnages féminins

PHOTO MIYA MIZUNO, FOURNIE PAR FX

Sydney Chandler interprète Chrissie Hynde.

Un des portraits les plus intrigants de Pistol concerne non pas un membre de la formation qui lui donne son titre, mais plutôt l’Américaine Chrissie Hynde (Sydney Chandler), fondatrice des Pretenders, qui travaillait à la fin des années 1970 comme employée de la boutique SEX, tenue par la designer Vivienne Westwood et le mégalomane Malcolm McLaren. Le sous-texte féministe mettant en lumière l’exclusion qu’ont subie les femmes au sein du mouvement punk, tout aussi juste soit-il (elles avaient encore moins d’avenir devant elles que leurs camarades masculins), semble pourtant un peu forcé. Triste paradoxe : Boyle impose lui-même à ses personnages féminins ce qu’il dénonce, en les reléguant à des rôles de faire-valoir.

La trame sonore

PHOTO MIYA MIZUNO, FOURNIE PAR FX

Toby Wallace interprète Steve Jones.

En ponctuant la série de chansons de David Bowie, des Stooges ou de T. Rex, Danny Boyle a l’intelligence de subtilement replacer l’explosion punk dans son contexte et de rappeler que, contrairement à ce que veut une certaine idée reçue, le punk visait moins à précipiter la mort du rock qu’à lui restituer sa fougue, émoussée par la balourdise du prog. Délicieuse ironie : c’est néanmoins au son du prog, plus précisément au son d’un solo invraisemblablement pédant de Rick Wakeman, qu’une des scènes les plus déchaînées de Pistol se déroule, un des rares moments de subversion au cœur d’une émission aussi sage qu’un gaminet des Ramones acheté chez Simons.

Pistol, sur Disney+