Claude Meunier revient sur son « anti-Bye bye », qui avait reçu un accueil glacial à l’époque.

« Encore aujourd’hui, je me dis que cette idée n’avait pas d’allure », lance Claude Meunier au sujet de Bonne année Roger, le Bye bye de 1981.

Le membre fondateur de Paul et Paul et de Ding et Dong a à peine 30 ans lorsqu’il se voit confier l’écriture du Bye bye de 1981. Il figure alors parmi une équipe d’auteurs formée de son fidèle camarade Louis Saia ainsi que de Marie Perreault, Louise Roy et Roger Harvey. Il avait déjà signé dans le Bye bye de 1976 – celui avec Dominique Michel en Nadia Comăneci – une parodie du jeu télévisé Le travail à la chaîne.

Sorte d’anti-Bye bye ayant beaucoup plus à voir avec l’univers absurde de la paire Meunier-Saia qu’avec la tradition satirique de la revue de fin de calendrier, Bonne année Roger est souvent considéré comme le pire Bye bye de l’histoire, une réputation largement surfaite que contredit vite un visionnement de cette expérience parfois confuse et étrange, mais très souvent comique.

« Toute ressemblance de près ou de loin avec l’émission Bye bye est tout à fait involontaire et ne serait que pure coïncidence », prévient d’emblée un panneau d’avertissement, avant que ne débute un numéro musical dans lequel une affriolante France Castel chante la pomme sur l’air de New York, New York à un gardien d’immeuble timoré, le Roger du titre, incarné par un Serge Thériault parfait.

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Écran titre de Bonne année Roger

La suite, à l’avenant, se compose pour l’essentiel d’une série de vignettes puisant abondamment dans les malaises indissociables des réunions familiales, dans les non-dits dont sont tissées les conversations (la pièce Les voisins sera créée en 1982) et dans les inévitables querelles entre beaux-frères (Marc Messier en partisan du Canadien de Montréal et Normand Chouinard en fan des Nordiques de Québec). Il était une fois des gens heureux de Nicole Martin – c’est l’année des Plouffe de Gilles Carle – est réinventée en chanson sur la folie que la dinde provoque au sein d’une famille, prélude à l’obsession pour ce plat de Moman dans La petite vie.

« À Radio-Canada, on dit presque bye bye à Bye bye », titre La Presse Canadienne le 26 décembre 1981, dans un article de Marc Morin qui évoque la baisse de cotes d’écoute de l’édition de 1979 (2 millions de téléspectateurs) à celle de 1980 (1,7 million). « La traditionnelle émission de fin d’année à la télévision française de Radio-Canada sera avantage un [sic] affaire d’humour pour l’humour qu’une rétrospective de l’année écoulée. […] Les principaux reproches qu’on a adressés à Radio-Canada l’an dernier étaient que le spécial de fin d’année donnait trop dans la chose politique et qu’il n’y avait pas là suffisamment matière à renouvellement. »

« On n’était pas des spécialistes de l’humour politique, on était plus dans les rapports humains. On pensait beaucoup à Monty Python et [Saturday Night Live]. On était contents d’avoir ce challenge-là, mais on était très naïfs. On était sûrs que le monde aimerait ça », se souvient en riant Claude Meunier.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Claude Meunier en 2015

Il y avait un gars qui s’appelait Roger [Harvey] dans notre équipe et il demandait toujours : “Quel titre on va donner à ça ?” C’est comme ça qu’on avait choisi Bonne année Roger.

Claude Meunier, coauteur du Bye bye de 1981

De dures critiques

Bonne année Roger sera vivement écorchée par la critique, notamment par la redoutable Louise Cousineau, de La Presse. « On pensait à Radio-Canada qu’un changement de nom et la mise au rancart des blagues politiques suffiraient à redonner de l’allure au grand spectacle de fin d’année », écrit-elle le 5 janvier. « Doux Jésus ! […] Bonne année Roger (pauvre Roger !) a bien failli m’endormir. Décidément il va falloir trouver autre chose. Ou bien abandonner l’idée complètement. […] Je me suis portée volontaire pour la vaisselle. L’évier était plus drôle. »

« Eh bien moi, dans l’ensemble, j’ai trouvé ça drôle, Bonne année Roger », lui réplique Pierre Foglia le 12 janvier, preuve que ce n’est pas d’hier que le vrai plaisir du Bye bye réside surtout dans les empoignades qu’il provoque. « Qu’est-ce qui me prend [d’écrire là-dessus] quinze jours après ? Il me prend que je me suis engueulé avec ma consœur Louise Cousineau qui a trouvé ça plate et qui l’a écrit ; il me prend que les lettres d’indignation constipée commencent à affluer dans la page “Tribune libre”. »

Parmi les segments les plus mémorables (et les plus controversés) de Bonne année Roger : celui du réveillon du jour de l’An lors duquel une jeune femme (Pauline Martin) invite pour la première fois son nouveau copain noir (Robert J. A. Paquette) chez ses parents (Véronique Le Flaguais et Claude Meunier, avec de protubérantes prothèses de menton, dans des personnages esquissant à gros traits ce que deviendraient 12 ans plus tard Moman et Popa).

Claude Meunier, qui met dans la bouche de son demeuré de bonhomme les stéréotypes les plus grossiers associés aux personnes noires, se rappelle avoir souhaité grossir à la loupe les préjugés qui circulaient beaucoup à Montréal, dit-il, au sujet de l’immigration haïtienne.

Je voulais dénoncer ces préjugés-là. C’était un sketch complètement antiraciste, que je trouve encore très drôle. Il dénonçait tellement clairement le racisme. Ce n’était pas un prétexte pour faire semblant de dénoncer le racisme et se permettre par le fait même de faire des jokes sur le dos des Noirs.

Claude Meunier

Malgré le rude accueil que reçoit Bonne année Roger, le contrat du duo Meunier-Saia est renouvelé en 1982, une cuvée cette fois-ci beaucoup plus en phase avec l’actualité culturelle et politique. Les deux apparitions de La Poune, dans une parodie de Pied de poule (Pied de Poune) et dans une relecture croisée de Terre humaine et E.T. (Terre humide, avec Rose Ouellette en costume d’extraterrestre), comptent parmi les moments les plus merveilleusement surréalistes de l’histoire du Bye bye. La vénérable comique a alors 79 ans.

« Mon souvenir, c’est qu’elle était dans une espèce de costume de scaphandrier et qu’elle avait tellement chaud que j’avais de la misère à trouver ça drôle tellement j’avais peur qu’elle s’évanouisse », raconte Claude Meunier. « On avait évidemment une grande différence d’âge, mais elle était heureuse d’être avec la nouvelle gang qui montait. Elle était tellement gentille, elle voulait tellement être drôle. C’était comme une bonne vieille grand-maman. On voulait faire attention à elle. »