Le gouvernement a déposé sa réforme très attendue des règles canadiennes sur la prostitution, hier. Une réforme qui va beaucoup trop loin, selon des groupes de défense des travailleurs du sexe, qui promettent de la contester à nouveau devant les tribunaux. Mais le ministre de la Justice Peter MacKay juge quant à lui avoir atteint un juste équilibre dans ce qu'il a qualifié de nouvelle «approche canadienne». Il compte maintenant adopter le projet de loi à toute vapeur.

Six mois après la décision de la Cour suprême du Canada le forçant à revoir certaines règles en matière de prostitution, le gouvernement fédéral a présenté sa réforme hier.

Comme on s'y attendait, le projet de loi déposé à la Chambre des communes interdit l'achat de services sexuels, s'inspirant du modèle suédois.

Mais le projet de loi C-36 va plus loin - trop loin, selon plusieurs groupes de défense des travailleurs du sexe et même la Coalition des femmes pour l'abolition de la prostitution, qui réclamait l'adoption de ce modèle suédois.

«Nous demanderons des amendements assurément, puisque ça ne répond pas à l'objectif de base: de donner des outils aux femmes [pour] sortir de la prostitution, mais aussi, lorsqu'elles sont dedans, [pour] assurer leur sécurité», a déclaré Diane Matte, porte-parole de la Coalition des femmes pour l'abolition de la prostitution.

Sollicitation et publicité

C'est qu'en plus de criminaliser les clients et certaines tierces parties comme les proxénètes, le projet propose d'interdire la sollicitation de clients par des prostitués dans «un endroit public ou situé à la vue du public, s'il est raisonnable de s'attendre à ce que des personnes âgées de moins de dix-huit ans se trouvent à cet endroit ou à côté de cet endroit».

Le projet vise aussi à interdire la publicité faite à des fins de prostitution.

La première interdiction est trop vague et la seconde nuira au travail du sexe en privé, poussant vers la rue les personnes qui s'y adonnent, estiment des experts et groupes de pression.

«Il n'est pas possible, à cause du fonctionnement de la législation, d'avoir des lieux sûrs pour la pratique de la prostitution. Ça reproduira tous les problèmes avec lesquels les travailleurs du sexe étaient aux prises», a réagi le criminologue John Lowman, de l'Université Simon Fraser.

«C'est un projet inconstitutionnel. Les conservateurs préparent le terrain pour leurs prochaines élections. [...] Et malheureusement, c'est notre communauté qui va en subir les conséquences. C'est notre sang qui va couler», a dénoncé Émilie Laliberté, porte-parole de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe.

L'avocate Katrina Pacey, de l'étude Pivot Legal Society à Vancouver, se prépare déjà à contester la constitutionnalité de la loi. Elle avait participé à la contestation dans l'arrêt Bedford, qui a mené au jugement du mois de décembre. «Le ministre MacKay a tenté de créer une version légèrement différente de la loi qui a été invalidée dans l'arrêt Bedford», a-t-elle dit.

La Cour suprême a statué que les dispositions du Code criminel interdisant la sollicitation de clients aux fins de prostitution, de même que la tenue d'une maison de débauche et le fait pour un tiers de vivre des fruits de la prostitution mettaient la vie et la sécurité des travailleurs du sexe en danger.

Peter MacKay a affirmé le contraire. Il a présenté sa réforme comme une «approche canadienne» qui répond à une «activité dégradante», où le plus souvent, les prostitués sont des femmes «victimes d'exploitation» et les clients, des «pervers».

«Aucun modèle qui implique une criminalisation totale ou une légalisation ne pourra transformer la prostitution en une activité sécuritaire. Il y aura toujours un danger inhérent à cette activité dégradante», a-t-il fait valoir.

Il a reçu l'appui de groupes de la droite religieuse, dont l'Evangelical Fellowship of Canada. «Notre désir est de s'assurer que les personnes vulnérables et à risque sont protégées, et que toutes les formes d'exploitation sexuelle sont éliminées», a déclaré le président Bruce Clemenger.

Le gouvernement a jusqu'à décembre pour adopter ces changements et il pourrait forcer le comité parlementaire de la justice à siéger cet été pour l'étudier.