Parce qu'il considère avoir été privé de sa liberté durant près de six ans sans raison et avoir subi d'importants préjudices financiers, personnels et familiaux, le Hells Angel Daniel Beaulieu, arrêté dans l'opération SharQc en 2009, poursuit solidairement la Sûreté du Québec (SQ), la procureure générale du Québec, l'ancienne procureure Madeleine Giauque et le délateur Sylvain Boulanger pour 16,4 millions.

Il n'y aurait aucun, sinon très peu de cas similaires au Québec et au Canada, dans lesquels un membre d'une organisation criminelle poursuit non seulement un corps de police, mais également la procureure au dossier et un délateur, pour une somme aussi importante. Autre fait à noter, Daniel Beaulieu n'est pas seul à poursuivre les autorités. Il le fait en compagnie de son fils Sunny, âgé d'une vingtaine d'années.

Sylvain Boulanger, ancien membre des Hells Angels de Sherbrooke, a commencé à collaborer avec la police en 2006, et les 62 interrogatoires vidéo qu'il a réalisés avec les enquêteurs sont à l'origine du projet SharQc, qui visait à éradiquer ce club de motards criminels de la carte du Québec. Il a signé un contrat de 2,9 millions et devait être le témoin vedette des mégaprocès, mais il n'a jamais témoigné. Boulanger a confirmé avoir reçu la requête de Beaulieu et a requis les services de l'avocat Me Julius Grey.

Me Madeleine Giauque, aujourd'hui patronne du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), était la procureure-chef du projet dont le premier et unique mégaprocès a fini en queue de poisson en octobre 2015.

Cette poursuite déposée au début de mai par Beaulieu, un des fondateurs de la section de Québec, est le deuxième recours au civil intenté par un Hells Angel contre la procureure générale en moins d'un mois. Il y a deux semaines, Salvatore Cazzetta a déposé une poursuite de 2 millions contre les autorités pour l'avoir arrêté et accusé «injustement», fait-il valoir, dans le cadre d'une enquête contre un réseau de trafic de stupéfiants en 2015.

Attitude malveillante

Beaulieu est demeuré détenu depuis le jour de l'opération SharQc, le 15 avril 2009, jusqu'à ce que la poursuite dépose un arrêt du processus judiciaire en sa faveur en février 2015.

Dans leur demande introductive d'instance en dommages-intérêts de 23 pages signifiée le 4 mai, les avocats du bureau Walsh-Shearson, qui représentent Daniel Beaulieu, affirment notamment que la poursuite a eu une attitude «malveillante» tout au long des procédures, qu'elle a notamment détruit et caché des éléments qui auraient pu nuire à la crédibilité de Sylvain Boulanger et que la preuve principalement retenue contre Beaulieu était basée quasi uniquement sur une interprétation inadmissible du délateur.

«Le demandeur [Daniel Beaulieu] soutient que les accusations ont été introduites et maintenues de mauvaise foi, avec un motif autre que celui de l'application de la loi, soit celui d'anéantir les Hells Angels sans réellement faire d'évaluation de la preuve détenue contre chaque individu», écrivent les avocats dans la requête.

Beaulieu, qui était accusé de 11 meurtres au départ, s'est retrouvé avec une seule accusation d'homicide à la fin. Ses avocats soutiennent que depuis 2011, la poursuite savait qu'une empreinte digitale et des traces d'ADN trouvées sur la scène du crime n'étaient pas celles de leur client.

Les avocats reprochent également à Me Giauque d'avoir déposé un acte d'accusation directe, éliminant ainsi la tenue d'une enquête préliminaire qui leur aurait permis de tester la preuve contre leur client et, le cas échéant, de le faire libérer.

«Tout son monde s'écroule»

Plusieurs paragraphes de la poursuite concernent le fils de Beaulieu, Sunny, et expliquent pourquoi il poursuit lui aussi les autorités. Daniel Beaulieu avait la garde de l'enfant qui avait 11 ans le jour de l'opération SharQc.

«La première image qu'il voit en ouvrant les yeux est celle de gens armés près de son lit. Il a subi un grave préjudice découlant des accusations contre son père et l'incarcération de ce dernier», peut-on lire dans la poursuite. 

«Tout son monde s'écroule. Il voit aux nouvelles que son père est un meurtrier. Il vit une révolte, un sentiment de trahison et d'incompréhension. À l'école, il vit de l'intimidation. Il réalise que les accusations contre son père ont gâché sa jeunesse et hypothéqué son avenir. Il a perdu confiance non seulement envers le système de justice mais envers toute la société», ajoutent les avocats.

Beaulieu, diplômé de HEC Montréal, était propriétaire d'une entreprise au moment de son arrestation et il affirme également avoir perdu 3 millions en valeurs et revenus.

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Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.